Natif de la ville portuaire de Lobito, au sud de Luanda, João Lourenço cache son léger embonpoint sous des vestes plutôt amples qu’il arbore lors de ses apparitions publiques depuis qu’il a rangé son treillis. Posé, réservé, chevelure grisonnante, regard perçant, taille moyenne, João Lourenço est connu pour sa poigne au sein du Mouvement populaire pour la libération de l’Angola, le MPLA, le parti qui domine la vie politique du pays depuis l’indépendance. L’ancien gouverneur de la province de Moxico est un combattant de la première heure qui a rejoint le MPLA en 1974 et qui a su trouver sa place dans le système qui a prévalu durant les 38 ans de règne du président Eduardo Dos Santos.
João Lourenço, qui appelle un chat un chat, avait affiché ses ambitions présidentielles lors d’une réunion du MPLA vers la fin des années 90. Eduardo Dos Santos y avait alors soulevé la question de sa succession à la tête de l’État. Cette franchise assumée a valu à João Lourenço quelques solides inimitiés au sein du parti, car d’autres dirigeants lorgnaient eux aussi le fauteuil de Dos Santos. L’ambitieux Lourenço a également fait l’objet d’une « placardisation » qui a duré quelques années avant d’être nommé ministre de la Défense. Et deux ans plus tard, il sera désigné par le parti, sur proposition de José Eduardo Dos Santos, pour conduire la liste du MPLA aux élections générales de 2017. « João Lourenço a toujours eu des relations distantes et complexes avec José Eduardo Dos Santos. Il ne peut pas être considéré comme un proche du président. Mais son choix s’est imposé au chef de l’État. Le président contrôle tous les rouages du MPLA qui fonctionne, grosso modo, comme un parti-État et qui est prisonnier de son héritage communiste. José Eduardo Dos Santos a présenté une liste de ses dauphins potentiels au parti, mais ils n’ont pas fait l’unanimité. Le chef de l’État a accepté l’arrivée programmée de Joao Lourenço au palais présidentiel par manque d’alternative », explique un analyste qui est au fait des subtilités de la vie politique angolaise, dominée par des clans et des camps aux intérêts parfois divergents qui font et défont des carrières.
« La désignation de João Lourenço n’a pas été simple. Les forces armées ont influencé ce choix, mais il y a également des franges du MPLA qui lui ont apporté leur soutien, car son parcours au sein du parti a été exemplaire », analyse, pour sa part, Manuel José Alves Da Rocha, professeur d’économie à l’université catholique d’Angola et auteur de plusieurs études sur l’économie angolaise. Pourtant, rien ne semblait prédestiner cet homme loyal à faire une entrée remarquée dans l’histoire en tant que troisième président de l’Angola. En effet, c’est Manuel Vicente qui semblait taillé pour le poste. L’ancien patron de la société pétrolière Sonangol, qui fait office de coffre-fort de l’État, a été nommé vice-président en 2012, après des législatives remportées aisément par le MPLA. Il a toutefois été rattrapé par son passé : poursuivi au Portugal dans une affaire de corruption, Manuel Vicente, qui figurerait dans le top 20 des plus grosses fortunes du pays, a vu son image écornée et son rêve de succéder au président Dos Santos s’envoler. Ses démêlés avec la justice portugaise ont suscité un vif débat au sein du MPLA, à l’issue duquel des hauts responsables du parti ont décidé de tourner la page de cet épisode peu glorieux dont les retombées risquent de laisser durablement des traces. Si José Eduardo Dos Santos (75 ans) a passé plus de la moitié de sa vie au sommet de l’État, il fut toutefois pendant le plus clair de sa présidence à la tête d’un pays divisé et déchiré par une guerre dévastatrice qui s’est terminée en 2002, après la mort de Jonas Savimbi, le chef historique de l’UNITA. Ce conflit fut l’un des avatars de la guerre froide sur le sol africain, mettant aux prises le MPLA soutenu par l’ex-Union soviétique, et l’UNITA, mouvement rebelle appuyé par les États-Unis.
João Lourenço, qui a patiemment gravi les échelons, tout en se tenant à bonne distance des réseaux qui se sont fabuleusement enrichis au cours de ces dernières années, a la réputation de ne pas être un homme d’argent. En tant que tel, il est peut-être l’homme le mieux placé pour s’attaquer frontalement aux pratiques qui ont nui à l’image du MPLA à Luanda, où l’UNITA a réalisé une percée remarquable lors des dernières élections générales, au point d’y faire jeu égal avec le MPLA (les deux partis y ont conquis chacun deux sièges). Joao Lourenço a fait campagne sur le thème de la continuité, en promettant toutefois de lutter prioritairement contre la corruption. Mais son annonce risque d’être un vœu pieux, compte tenu des pesanteurs auxquelles sera confronté cet homme habitué à se faire obéir au doigt et à l’œil. Aura-t-il des reins suffisamment solides pour menacer les intérêts des puissants lobbies qui ont infiltré l’appareil du parti ? Osera-t-il donner un grand coup de pied dans la fourmilière ? S’érigera-t-il en briseur de tabous pour condamner ouvertement corrupteurs et corrompus et laisser la justice se pencher librement sur ces dossiers ? Rien n’est moins sûr. « Je doute de sa capacité à lutter efficacement contre la corruption, qui affecte tant le secteur public que le secteur privé. Je ne pense pas qu’il soit capable d’affronter les multiples intérêts divergents et contradictoires au sein du parti. Joao Lourenço est un vrai fils du MPLA. Je ne crois pas qu’il puisse bousculer les habitudes. Il y a une douzaine d’années, le président Dos Santos avait prôné la tolérance zéro dans la lutte contre la corruption. Quels en sont les résultats ? De simples déclarations ne suffisent pas », explique, dubitatif, Manuel José Alves Da Rocha.
João Lourenço aura une marge de manœuvre plus réduite que son prédécesseur. Une loi votée récemment l’empêche de nommer les dirigeants de l’armée, des services de renseignement et de la police. Le chant du cygne du chef de l’État sortant, qui garde encore les commandes du MPLA, est l’adoption, par le Parlement, d’un texte qui le met à l’abri de toute poursuite judiciaire et lui assure une retraite enviable. Rien n’indique, à ce stade, que João Lourenço, pur produit d’un parti tentaculaire qui a viré sa cuti idéologique en embrassant l’économie de marché, aura le dernier mot face aux poids lourds du parti rétifs à tout chambardement. Les autorités angolaises ne contrôlent l’ensemble du territoire national que depuis une quinzaine d’années, après un long conflit qui s’est soldé par la destruction des principales infrastructures du pays. L’Angola, affaibli et exsangue au sortir de cette guerre, s’attelle à sa reconstruction. L’UNITA, décapitée et vaincue militairement, s’est résolue à déposer les armes pour s’inscrire dans une logique de paix, dans le cadre de la réconciliation nationale dictée par l’accélération de l’histoire, et se transformer en un parti politique qui jouerait, comme les autres, le jeu démocratique en vue de conquérir le pouvoir par la voie des élections.
Des efforts ont été effectués pour doter le pays d’infrastructures. Immeubles d’habitation, quartiers résidentiels, supermarchés bien fournis, ponts, autoroutes, voies ferrées, ports, aéroports, barrages hydroélectriques, etc. sont sortis de terre. Ces ouvrages apportent une vraie touche de modernité à ce pays qui en avait bien besoin. Le visage quelque peu défraîchi de Luanda s’en trouve considérablement transformé. Tout étranger, qui n’est plus retourné à Luanda depuis une trentaine d’années, aurait du mal à retrouver ses repères dans cette ville qui affiche fièrement ses tours modernes, lesquelles n’ont rien à envier, sur le plan architectural, à ce qui se fait de mieux sous d’autres cieux. Malgré ces avancées, le pays a du chemin à faire pour assurer une meilleure répartition des revenus. Sous cette écorce séduisante du fruit angolais – qui s’offre au regard curieux du visiteur – se cache une pulpe en partie avariée : les inégalités se sont outrageusement renforcées. Les quartiers populaires où s’empilent des logements de fortune, parfois constitués d’un amoncellement difforme de tôles ondulées, sont situés à proximité de certains secteurs huppés où les riches étalent ostensiblement des signes extérieurs de leur réussite sociale. Le fossé entre les nouveaux nantis et les oubliés de la période de vaches grasses est devenu un gouffre au cours de ces dernières années.
Tirée par un baril dont le prix avait dépassé allègrement la barre des 100 dollars sur les marchés internationaux, la croissance économique de l’Angola a même bondi à plus de 24 % en 2007, pour s’affaisser en 2014, après l’effondrement du prix du brut. Une timide remontée a certes été observée, mais le prix peine à retrouver ses niveaux d’avant-crise et plombe ainsi les finances du pays. D’où l’arrêt de certains travaux, en attendant, dans l’incertitude, des jours meilleurs qui tardent à poindre à l’horizon. Si l’économie, dépendante des exportations de pétrole, réussit son ambitieux programme de diversification et si les caisses de l’État commencent à enregistrer de solides recettes, Joao Lourenço sera appelé à s’attaquer aux disparités qui minent la confiance du petit peuple dans les institutions du pays. De plus en plus de jeunes se détournent du MPLA et deviennent perméables aux thèses de la CASA-CE constituée par des dissidents de l’UNITA. Ce parti parle un langage que comprennent les nombreux déshérités en quête de perspectives et livrés à eux-mêmes, dans un pays où l’accès aux soins de santé, à un enseignement de bonne qualité et à un emploi décent relève, pour beaucoup, de l’irréalisable. « Les recettes pour réduire les inégalités sont connues. Il faut s’y attaquer en amont et en aval. En gros, il faudrait que les laissés-pour-compte aient accès aux terres et au système éducatif. La mise en place des programmes sociaux, un peu comme le président Lula l’a fait au Brésil, est nécessaire ainsi que la mise en place d’un salaire minimum », explique Manuel Da Rocha.
João Lourenço est-il l’homme de la situation ? Saura-t-il répondre aux frustrations de la jeunesse ? Pourra-t-il couper le cordon ombilical qui le rattache au MPLA ? Autant de questions auxquelles il sera contraint de répondre par des actes forts au cours de son prochain quinquennat. Ce diplômé d’histoire de l’université de Moscou, marié à la représentante de l’Angola à la Banque mondiale, sait qu’il a hérité d’un pays qui n’est pas au mieux de sa forme. Ses faits et gestes seront scrutés à la loupe ; et ses premières décisions donneront quelques indications sur le cap qu’il a fixé pour ce pays qui cherche à rayonner sur le continent. L’histoire de cette succession difficile n’est pas écrite d’avance.
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