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6 mars 2021À l’occasion de la sortie de son roman graphique, Sur un air de fado, le 22 janvier dernier, nous avons eu l’opportunité de nous entretenir avec Nicolas Barral.
CM : L’histoire se déroule au Portugal pendant la dictature de Salazar : pourquoi avoir choisi de parler du Portugal et plus particulièrement de cette période ?
NB : J’ai épousé une femme d’origine portugaise et dans notre trousseau de mariage, il y avait un certain nombre de références culturelles parmi lesquelles un roman, Pereira prétend, d’Antonio Tabucchi, qui est italien mais lusophone. Ce roman m’a beaucoup interrogé sur la question de l’engagement et je me suis demandé : quel serait mon attitude si je vivais en dictature ? J’ai commencé à prendre quelques notes en 2005 puis j’ai laissé murir le projet. Dans l’intervalle, je me suis procuré des documents, et notamment les ouvrages d’Irene Pimentel, auprès de la documentaliste du Musée de la Résistance, qui lui-même n’a ouvert qu’en 2015. Ces dix années d’intervalle ont fait de moi un homme différent. En 2005, j’avais un angle d’attaque un peu trop manichéen sur la dictature. On a tous envie de croire qu’on serait un héros dans une situation pareille mais ce n’est pas simple d’être un héros. Quand on pense à Salazar, ou un autre régime fascisant on pense à la police politique, à la torture : les aspects les plus saillants. Mais il y a dans le quotidien, des gestes que nous avons dans nos démocraties et que le peuple portugais ne pouvait pas avoir. Quand on parlait dans la rue, soit on parlait tout bas soit on mettait sa main devant sa bouche pour être sûrs qu’aucun informateur ne vienne nous surprendre à tenir des propos controversés.
CM : Pourquoi avoir choisi de mettre un médecin au centre du récit ?
NB : On est là en 1968 et je voulais suivre un personnage dans les aspects quotidiens de sa vie. J’ai choisi un médecin pour deux raisons. Je voulais un personnage aisé, qui ait les moyens de composer avec le régime, issu d’une famille plutôt en connivence avec le pouvoir et parce qu’un médecin ça soigne, mais ça ne choisit pas qui ça soigne : les gentils, les méchants, les bruts, les tendres. Puis comme je voulais que le siège de la PIDE occupe une place centrale du livre, il me fallait quelqu’un susceptible d’y entrer et d’en sortir. Donc c’est aussi une commodité scénaristique finalement.
CM : Ce qui trouble beaucoup dans ce roman graphique, hormis le texte, c’est la précision des représentations de Lisbonne dans les dessins, comment vous y êtes-vous pris ?
NB : Je suis souvent allé à Lisbonne et quand je m’y promène, je regarde, je prends des photos. Je fais quelques croquis aussi. Je m’imprègne de la ville et j’essaie d’avoir un dessin très naturaliste, car je pense que c’est une aide pour le lecteur d’être renseigné précisément sur les lieux. Alors, il manque un certain nombre de choses au dessin comme l’odeur, mais j’essaie de compenser comme je peux. Il y a aussi la couleur évidemment et là, je me suis fait aider par ma fille, Marie Barral, qui m’a proposé son aide. Je l’ai formée et assez vite elle a compris l’esprit dans lequel je voulais travailler. C’était finalement un travail à quatre mains. Parfois j’intervenais après pour mettre un filtre pour traduire, par exemple, l’ambiance des fins de journée à Lisbonne. Il y avait aussi la question des flashbacks parce que la couleur ce n’est pas seulement un habillage, elle doit être narrative et donc on a choisi des tons sépia qui finalement se rapprochent de l’ambiance générale du livre : une couleur un peu orangée. Je voulais bien évidemment que les époques se distinguent, prendre le lecteur par la main et l’aider à se situer, mais je voulais aussi une ambiance générale, une homogénéité.
CM : Est-ce qu’après Sur un air de fado vous vous sentez un peu Portugais dans l’âme ?
NB : Je pense que je me sentais Portugais avant, pendant et après ce livre. Pour synthétiser les choses, je suis tombé sous le charme de Lisbonne et ce n’est pas forcément facile à expliquer, mais d’une certaine façon, je l’ai fait en écrivant ce livre. C’est une déclaration d’amour, à la fois à ma femme et à son pays. Le cœur de ma démarche, c’était aussi de parler aux gens qui connaissent le pays et de séduire ceux qui ne connaissent pas son histoire. Le livre est d’ailleurs paru au Portugal, car je tenais à ce qu’il soit disponible dans les deux pays et le hasard de la pandémie a fait que le livre est sorti d’abord là-bas, le 22 novembre, avant sa sortie en France. Il y a été très bien accueilli par la presse qui a souligné que la fiction ne s’était pas beaucoup emparée de cette période. Je voulais justement rappeler cette dictature à la jeune génération et piquer les Français contre la tentation du populisme.
CM : Vous évoquiez la pandémie il y a quelques instants, est-ce que Sur un air de fado, qui est sorti en France le 22 janvier dernier, a subi les conséquences de la crise sanitaire ?
NB : Le décalage de six mois pour la sortie en France a fait que j’ai dû porter ce projet, « l’enfant », six mois de plus. Alors que quand on termine un livre on a envie qu’il trouve ses lecteurs. L’avantage a été, pour l’éditeur, d’avoir du temps supplémentaire pour préparer le terrain ; envoyer le livre aux journalistes, le faire connaître. Mais une semaine après la publication du livre, il était prévu que le Président Macron prenne la parole pour nous expliquer que l’on reconfinait et là tout aurait été plus compliqué. Ce n’est pas le cas pour l’instant, mais je pense qu’on est à l’abri de rien, c’est pourquoi j’invite un maximum de gens à se procurer le livre le plus vite possible !
CM : Vous n’en êtes plus à votre premier ouvrage. Or, c’est le premier scénario que vous réalisez vous-même. De tous les livres que vous avez produit, lequel vous a le plus touché jusqu’à présent ?
NB : Celui-là, évidemment ! J’étais seul aux commandes. Cet album m’a permis d’aborder des problématiques personnelles liées à la fratrie par exemple. J’ai pu m’exprimer sur des sujets qui me tiennent à cœur et j’ai envie de continuer. Je n’en ai pas fini avec les frères Pais. Je voudrais peut-être poursuivre leur histoire en traitant de l’exil. Finalement, j’ai envie de continuer parce que j’aime mes personnages !
CM : Merci Nicolas Barral pour votre disponibilité, c’était un réel plaisir !
NB : Plaisir partagé ! À bientôt.
Un grand merci à monsieur Barral ainsi qu’à toute l’équipe des éditions Dargaud !
Retrouvez la version courte de l’interview ainsi qu’un article sur la BD dans le CAPMag de mars 2021
Marta Serra