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1 mars 2021Découvre le portrait de Hugo un jeune lusodescendant réalisateur du court-métrage “transit” sur le thème de l’immigration:
“Je suis né au Portugal, à Castelo Branco. Je suis venu en France avec ma mère à l’âge de deux ans, donc vraiment petit. Mais mon grand-père était déjà en France depuis 1971. J’ai ensuite grandi en banlieue parisienne, à Conflans-Saint-Honorine.
Mon lien avec la langue portugaise date de mon enfance, car c’est, au sens strict du terme, ma “langue maternelle”. Mes grands-parents ont participé à mon éducation alors j’ai hérité d’une langue portugaise immigrée, matinée d’expressions, d’un accent ou d’un vocabulaire utilisé dans les villages autour de Castelo Branco dans les années 60, ce qui est parfois étrange. D’autant plus, qu’ils ne maîtrisaient que très partiellement la culture écrite. J’ai ensuite bénéficié de la escola portuguesa qui m’a permis de prendre contact avec une autre langue, écrite et “nationale”. J’ai alimenté ma compréhension du portugais pendant mon adolescence avec des lectures “sauvages” de romans, de poésies en langue portugaise. Mais ce n’est qu’après un erasmus à Lisbonne que j’ai réellement commencé à étudier, puis à travailler en portugais. Aujourd’hui, même si je fais des fautes en portugais, j’ai un rapport plus mature et professionnel à la langue portugaise, même si celui-ci est emprunt d’une sensibilité particulière, un écho de mon parcours d’immigration et de celui de ma famille.
Après un Bac littéraire, j’ai fait des études en Histoire puis en Cinéma. J’ai beaucoup trainé pour les faire, car c’était une période d’intense apprentissage de la vie d’adulte, mais aussi d’engagements politiques. J’ai ensuite travaillé au Portugal et en France dans le cinéma documentaire. J’ai assisté des réalisateurs, des producteurs et des auteurs sur des sujets qui me tenaient à cœur (immigration, exil, critique de la dictature portugaise, racisme, luttes sociales)… J’ai ensuite fait un passage de quelques années par le journalisme où j’ai travaillé pour différents médias (comme Courrier International). En parallèle, je me suis beaucoup investi dans l’association Mémoire vive/Memória viva qui “recueille et transmet la mémoire de l’immigration portugaise dans un esprit d’échange et d’ouverture” et sur les questions mémorielles liées à l’immigration en règle générale et l’immigration portugaise en particulier. Dernièrement, je me recentre sur des projets plus personnels en revenant notamment à mon premier amour, le cinéma documentaire.
Bizarrement, même si j’ai construit une réflexion et un travail très lié au passé et à la “Mémoire”, je n’ai pas d’inspirations spécifiques. J’essaye de faire ce qui me semble juste, intellectuellement intéressant et politiquement important. D’une certaine façon, peut-être que j’ai une attitude “existentialiste” à la vie, ce qui me pousse à avoir des positionnements politiques assez tranchés.
Qu’est-ce qui t’as poussé à vouloir réaliser un court-métrage (“transit”) sur le thème de l’immigration ?
“Le quartier où j’ai grandi à Conflans-Sainte-Honorine, et dont je parle dans ce film en construction, souffrait d’un fort sentiment de relégation. Nous étions pauvres et à ce titre nous étions également dépossédés d’une part de notre histoire, liée à l’immigration, aux bidonvilles et à l’exploitation. Faire ce film, c’est, d’une certaine façon, faire justice à tous ces anonymes en leur rendant “leur” histoire. C’est probablement le sentiment que l’écrivaine Annie Ernaux appelle “venger sa race” (qui fait ici référence à la classe sociale d’Annie Ernaux). C’est aussi une partie de ma vie, mais qui a été essentielle dans la construction de mon rapport au monde.
“Ce film raconte l’histoire du quartier où j’ai grandi et auquel on n’a jamais voulu donner un nom, une cité de transit construite sur un terrain vague pour reloger les habitants des bidonvilles de Conflans-Sainte-Honorine. C’est aussi la chronique des processus d’intégration dans une ville de banlieue parisienne pas vraiment comme les autres. Un récit documentaire raconté par les immigrés eux-mêmes.”
Il nous a ensuite parlé de son lien avec le Portugal:
J’aime aller au Portugal pour y faire des choses, y vivre un temps. J’aime moins y passer des vacances, car j’ai l’impression d’être ramené à la condition d’un touriste étranger.
J’attache de l’importance au fait de parler, d’écrire et de lire en portugais. Néanmoins, je ne pense pas, comme Fernando Pessoa, que “ma patrie est ma langue” et je me méfie du terme “lusophonie”. La langue portugaise est une très belle langue, qui bénéficie d’une littérature très intéressante et que les autres pays lusophones contribuent à enrichir. Néanmoins, il ne faut pas oublier que l’espace “lusophone” est hérité de l’empire colonial portugais. À ce titre, je pense qu’il faut valoriser “une” lusophonie ouverte, multicentrée, consciente de son passé commun, lié à l’histoire de l’esclavage et du colonialisme.
Je me considère comme un immigré (et fils d’immigrés) portugais vivant en France, de langue française et portugaise. Je pense que l’identité est évolutive et que la question de la langue n’est qu’un des aspects de celle-ci. Dans ce sens, je me sens citoyen du monde. Généralement, je n’adhère pas au terme de “lusodescendant” qui me semble trop lié aux racines familiales, à la langue (beaucoup de descendants d’immigrés portugais ne parlent pas le portugais) et élude la dureté de l’histoire de l’immigration portugaise en France.
–Ta ville préférée au Portugal ou autre pays lusophone ?
Lisbonne. Un jour que l’on demandait à l’écrivain lisboète António Lobo Antunes ce qu’il ferait de ces derniers jours et quel était son rapport au Portugal (c’est un auteur très critique d’un certain nationalisme portugais), il a évoqué Lisbonne dans ces termes : “tout ce que je sais c’est que je veux mourir dans cette lumière”. Pour qui, comme moi, a vécu à Lisbonne, cette phrase peut faire sens.
Un mot en portugais ?
Abril. Au Portugal, l’utilisation de ce ce mot fait référence au 25 avril 1974 et à la période révolutionnaire qui a suivi. l’utilisation de ce mot suffit à faire référence à une période, des images, des sensations, des avancées sociales, des espoirs et même une certaine mélancolie.
Un message pour nos lecteurs ?
Je les invite à construire une identité multiple, antinationaliste, ouverte et critique, y compris de leurs origines portugaises. Les immigrés portugais qui sont venus en France sont issus d’une éducation d’extrême-droite (dictature de Salazar et Caetano), ultra-catholique, machiste et coloniale. Cela se ressent encore fortement dans le discours des descendants de ces immigrés qui prennent pour argent comptant ces discours. Ce phénomène est d’autant plus fort que la société d’accueil les a parfois méprisés (tant socialement que culturellement) et que cette “fixation identitaire acritique” leur semble être une forme de résistance. Je les invite également à éviter les assignations à résidence identitaires. Ils n’ont pas à choisir entre “portugais” ou “français” et n’ont pas à se définir comme tel.
Un de tes meilleurs souvenirs au Portugal ou tout autre pays lusophone.
Un après-midi d’été à l’ombre de l’oranger du jardin de mes grands-parents à Castelo Branco. La vieille ville est silencieuse, écrasée par le soleil, le chant des cigales assomme le reste. Les murs sont immaculés, fraîchement repeints à la chaux. Certains font la sieste, d’autres rien.