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26 mai 2021À LA UNE AUJOURD’HUI : PORTRAIT DE DAMIEN 📸
9 juin 2021Arrivée à Cap Magellan en 1999 lorsqu’elle était étudiante, Alexandra Vieira, lusodescendente, est une ancienne rédactrice du CAPMag, passionnée par l’écriture.
Le 31 mai sort son premier roman Julia Florista, dans lequel se mêlent romance et fado. Cap Magellan a rencontré Alexandra afin d’en apprendre davantage sur son livre.
Emma Silva : Peux-tu te présenter en quelques mots ?
Alexandra Vieira: Je m’appelle Alexandra Vieira, j’ai fêté le cap de la quarantaine l’année dernière. L’écriture est pour moi présente depuis toujours, c’est une passion qui ne m’a jamais quittée. J’ai toujours aimé raconter des histoires et écrire, à tel point que quand j’étais étudiante, j’écrivais aussi bien pour des journaux portugais dans la ville d’où est originaire ma famille à Monção, que des journaux en expression française ou portugaise comme le CAPMag. J’ai toujours été passionnée par la littérature, l’écriture, j’ai fait des études littéraires et suis partie un an en Erasmus à Coimbra où j’ai pu avoir un autre aperçu du Portugal et de la culture portugaise, puisque moi je ne connaissais le pays qu’à travers les vacances que je passais là-bas, c’était très enrichissant. De retour en France j’ai passé les concours de l’enseignement pour travailler dans le secondaire où j’ai enseigné les lettres pendant 10 ans et depuis je travaille toujours dans le service public, mais dans d’autres secteurs. Concernant mon roman, l’idée est venue il y a très longtemps et j’ai passé plusieurs années à retravailler cette histoire.
ES : Julia Florista sort le 31 mai, comment t’es venue l’intrigue de ce roman ?
AV : Julia Florista est le premier roman que je publie. L’idée m’est venue il y a peut-être plus de 15 ans lorsque l’on m’avait raconté l’histoire vraie d’un lycéen de 16 ans qui avait eu une aventure avec l’une de ses voisines, une femme mariée qui avait le double de son âge. À l’époque ça m’avait complètement fascinée, je trouvais ça extraordinaire et je m’étais dit qu’il y avait quelque chose à creuser, d’autant que c’était un sujet classique aussi bien dans la littérature que dans le cinéma.
ES : Quelles ont-été tes inspirations dans l’écriture de ton roman ?
AV : En 2002, le film Infidèle est sorti, un remake d’un film français de Chabrol qui date de 1969, avec ce même schéma, une femme mariée qui a une vie très confortable, un mari aimant qu’elle aime, puis elle rencontre complètement par hasard, à New-York où elle vit, un jeune bouquiniste français. Rien ne les prédestine à faire cette rencontre, mais va naître entre eux une passion qui va être plutôt… fatale. J’ai beaucoup aimé la façon dont le réalisateur américain a revisité le film de Chabrol, avec la passion amoureuse interdite, mais aussi l’idée du hasard. Le thème de la rencontre pour moi était vraiment très important et petit à petit, l’idée a germé. J’ai fait les premières versions, mais je sentais qu’il manquait quelque chose. Quand on aborde un sujet très classique il faut qu’il y ait une originalité sinon le lecteur a l’impression de relire la énième fois la même histoire.
ES : Comment as-tu sorti ton épingle du jeu, pour pimenter ton roman ?
AV : Grâce à mon mari qui est guitariste et qui accompagne depuis plusieurs années des fadistas, je me suis rapprochée de ce milieu-là et j’ai eu envie de mieux connaître à la fois les chanteurs et musiciens, mais aussi le milieu parisien dans lequel il évolue. Je suis très sensible aux textes des fados. Les poèmes sont magnifiques. Il y a cette idée de destin, de rencontre et encore une fois, l’histoire du hasard dont je parlais. On sent que dans les poèmes de fado, sans parler nécessairement de fatalité, les choses arrivent pour nous apprendre et révéler quelque chose. Et c’est ce qui est venu donner la tonalité à cette histoire qui pourrait paraître classique. Cette femme, Christine, est déjà installée dans sa vie, a une existence tranquille quand elle rencontre ce jeune homme, Ruben, beaucoup plus jeune qu’elle, et qui joue de la guitare portugaise. Avec le fado, j’allais pouvoir à la fois avoir une toile de fond et trouver la tonalité de cette passion et de cette rencontre inattendue.
ES : Dans ton roman, fado et sensualité sont liés, pourquoi ?
AV : Le fait que Christine ait accès à une culture et une musique qui lui sont complètement étrangères, c’est comme un détonateur, un révélateur : elle prend conscience qu’autre chose existe. Et puis elle voit, elle entend ce jeune homme qui est vraiment passionné par la musique et qui d’ailleurs dans le roman va devenir un grand musicien reconnu, et c’est comme s’il y avait de nouvelles portes pour elle qui s’ouvraient. Ily a la découverte de la musique, mais il y a aussi quelque chose qui est très endormi en elle qui se réveille. C’est comme si elle avait attendu cette rencontre pour que sa féminité puisse se révéler et avoir accès à une sensualité qu’elle ignorait complètement.
ES : À quels lecteurs s’adresse ton livre ?
AV : Je dirais à tout le monde! :rires:, Je suis très étonnée car des personnes dont je ne m’attendais absolument pas qu’elles soient intéressées, me disent avoir précommandé le livre. Aux gens qui s’intéressent à la musique et au fado en particulier, l’histoire va parler parce que dans le roman il y a par exemple des extraits de poèmes de fado. Ces couplets de fado rythment l’histoire. Dans la vie quotidienne, il nous arrive tous de penser à un livre ou une chanson qui nous parle de ce qu’on est en train de vivre, et d’éprouver dans une situation bien précise. Dans le livre, c’est le même mouvement : les poèmes de fado apportent un éclairage sur un moment, un sentiment ou une émotion. Ceux qui sont sensibles à la musique et au fado vont forcément aimer! Si on a envie de s’évader, on a accès à un univers un peu différent, ouvert sur une autre culture. Je pense aux personnes qui ne connaissent pas ou peu la culture portugaise. En fait, un public assez large peut être touché par cette histoire. En tout cas, je l’espère! Je n’aime pas trop les catégories alors si mon roman peut toucher au-delà de simples étiquettes, je serais ravie!
ES : As-tu choisi de faire le lien avec le Portugal et sa culture musicale grâce à tes origines ?
AV : L’histoire se passe essentiellement à Paris.. Il y a une escapade lisboète. Mes origines portugaises et mon attachement à la culture portugaise sont bien sûr une grande source d’inspiration pour mon roman. Mon goût pour le fado, le fait de le chanter moi-même et d’avoir fréquenté des lieux comme le Lusofolie’s dont je parle dans le roman, (et aussi d’autres lieux dont je ne parle pas, mais qui sont très inspirants). Aujourd’hui il y a une scène de fado à Paris très vivante: il suffit d’assister aux concerts organisés au Portologia ou auPássarito mon amour dans le 11e pour le sentir. Cette culture-là est d’ailleurs appréciée aussi bien par des Portugais et lusodescendants que par des Français ou des personnes d’autres origines d’ailleurs.
ES : Pourquoi avoir intitulé ton roman Julia Florista ?
AV : Júlia Florista, c’est le titre d’un fado, le premier que j’ai chanté sur scène, à ce titre il m’est particulièrement cher. J’aime beaucoup cette chanson parce que, contrairement aux stéréotypes sur le fado, il n’est pas du tout triste. Certes le fado est imprégné de beaucoup de mélancolie, de saudade et de fatalité, mais pour moi, c’est vraiment toute la gamme des émotions, de la naissance d’un amour à la passion, aux désirs interdits, qu’exprime le fado. Il y a toute une tradition de fado qui se moque des autorités par exemple, c’était très présent au XIXe siècle.D’ailleurs ce n’est pas étonnant que dans les soirées fado, à la fin on fait parfois “uma desgarrada”, comme dans les soirées de musique populaire, plus folklorique.Júlia Florista est un fado qui fait le portrait de Julia, une modeste fleuriste que le tout Lisbonne adore pour sa voix magnifique. J’aime beaucoup ce portrait, et dans l’histoire, le fado Júlia florista marque le début de la relation entre les deux personnages principaux, Christine et Ruben. Les lecteurs comprendront aussi pourquoi c’est le fado qui marque leur histoire tout à la fin…
ES: Tu chantes également du fado, comment t’en es venue l’envie ?
AV : Quand j’étais enfant, mon père écoutait du fado à la maison, essentiellement Amália. Et quand j’ai rencontré mon mari, guitariste, j’ai entendu du fado tous les jours !tous les jours. Peu à peu, j’ai eu envie de chanter.La première fois, c’était au Lusofolie’s. À l’époque, dans cet établissement dans le 12e arrondissement, il y avait une ambiance de folie les soirs de fado! N’importe qui pouvait, avec un peu d’audace, chanter sur le mode fado vadio. J’ai fait de superbes rencontres et c’est là-basque j’ai découvert l’académie de fado de Vincennes et des musiciens exceptionnels comme Philippe De Sousa (guitare portugaise) et Nuno Estevens (viola de fado)
ES : As-tu prévu une suite à ton roman ?
AV : Je ne pense pas qu’il y aura une suite à Julia Florista. Actuellement je me concentre sur l’écriture de mon deuxième roman qui accorde aussi une place très importante à la musique, et dans lequel on retrouvera peut-être un des personnages de Julia Florista.
J’écris également pas mal de nouvelles.Pour un écrivain, je trouve cet exercice très formateur, car on est obligé d’avoir une intrigue très ramassée et une chute percutante. On ne peut pas se permettre de se perdre dans des détails superflus. Il faut que ce soit tout de suite très intense.
En parallèle, j’ai un autre projet qui en est au stade des expérimentations pour l’instant. Avec une amie qui a une voix particulièrement belle et qui s’entraîne à la lecture à voix haute, ,je voudrais monter une collaboration pour qu’elle fasse des interprétations de mes nouvelles, une prestation qui va au-delà de la lecture à voix haute. Ensemble, on explore cette voie et c’est passionnant.
ES : Où est-ce qu’on peut retrouver tes nouvelles ?
AV : Deux de ces nouvelles ont été publiées sur le site de ma maison d’édition, Plumes de marmotte. Je les ai écrites durant le premier confinement, en 2020, Les deux nouvelles, qui racontent la même histoire, en deux parties, évoquent une relation amoureuse empêchée à cause du confinement. Je m’étais dit que ça allait divertir les lecteurs et que ça pouvait parler à certaines personnes qui venaient de se rencontrer toutjuste avant d’être confinées. C’était assez amusant pour moi qui aime beaucoup observer comment le désir naît et comment il est attisé. Le confinement, c’était un obstacle très intéressant d’un point de vue romanesque parce que le manque renforce le désir.
ES : Comptes-tu traduire ton roman en portugais ?
AV : J’aimerais beaucoup. La version en portugais permettrait peut-être aux lecteurs portugais qui vivent au Portugal d’appréhender un peu la façon dont nous vivons ici en France la culture portugaise et notre héritage. Il est parfois difficile pour eux de comprendre notre double culture, à la fois portugaise et française.
ES: Traduire ton roman, est donc également lié à ta double culture ?
AV: Je me rappelle un concert de Marco Rodrigues, à l’Hôtel de ville lors du gala annuel de Cap Magellan, en 2014. Il avait invité le public à faire vivre la culture portugaise et à faire vivre le Portugal en France. Je comprenais son message, mais je comprenais aussi que pour lui, c’était sans doute difficile, comme pour beaucoup d’autres Portugais, d’appréhender cette réalité qui est double pour nous.Certes beaucoup d’entre nous sommes attachés au Portugal, à la promotion de la culture portugaise, c’est d’ailleurs ce que fait très bien Cap Magellan. Mais être né en France, avoir demandé la nationalité française pour certains (comme c’est le cas pour moi), ce n’est pas neutre.Mon premier métier a été l’enseignement : j’ai exercé pendant dix ans comme professeur de lettres. Enseigner le français, ce n’était pas un choix anodin dans mon parcours familial et personnel.Quand j’ai vécu à Coimbra, je me suis rendu compte à quel point j’étais française…aussi!
Emma Silva