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24 juin 2024Nicolas Jaillet est un auteur français qui a publié, en janvier 2023, aux éditions La Grange Batelière, un livre sur l’émigration portugaise : Fernanda. Cap Magellan a évidemment voulu connaître ses motivations par rapport au sujet et il nous a offert une interview exclusive.
Cap Magellan : Salut Nicolas, j’espère que tu vas bien ! Nous sommes ici pour parler de ton livre Fernanda. Combien de temps de travail t’a demandé cette œuvre ?
Nicolas Jaillet : C’est une question particulière parce qu’il y a eu un temps très long de maturation. Je pense que la première idée a démarré il y a sept ans. On était en Picardie avec une copine et elle m’a raconté cette histoire d’une vieille dame. En arrivant en France, elle aurait rencontré un homme qui s’est avéré être un poète célèbre. En général, des histoires comme ça on en récolte une dizaine par jour. Il faut un certain temps avant de se décider, de déterminer que cette idée-là est la bonne. Petit à petit, vous commencez à vous dire que vous allez consacrer plus de temps à cette histoire en particulier. Après il y a le temps des recherches qui peut durer un an, deux ans, trois ans… Le temps de la rédaction en lui-même est infime : il peut se faire en quelques mois. La question est toujours de savoir ce que l’on a à dire. Au jour le jour si vous ne savez pas quoi faire, sortez de chez vous, prenez un bouquin, aérez-vous et puis au détour d’une promenade, au moment même où vous serez loin d’un crayon, vous aurez envie d’écrire quelque chose et, là, rentrez chez vous et mettez-vous face à votre ordinateur. Il y a un travail qui se fait de l’ordre de l’instinct.
Au départ c’était un projet pour un texte court parce que c’était cette fameuse anecdote : elle rencontre quelqu’un de célèbre et puis on cache au lecteur l’identité de cette personnalité et on la dévoile à la dernière minute. Au mieux ça pouvait être une nouvelle. Par la suite, il y a eu le choc de rencontrer des gens qui avaient fait ce voyage. Cela a pris de plus en plus de temps et de plus en plus d’ampleur dans le projet. Finalement l’anecdote demeure mais elle passe au second plan et, petit à petit, au lieu de parler de ce fameux poète français, j’ai focalisé sur cette jeune femme qui fait le voyage et l’histoire de tous ces gens. J’étais vraiment fasciné par la désinvolture avec laquelle on m’a raconté l’histoire. Quand les gens qui vivent des périples comme ça, ils vous le racontent comme s’ils étaient allés acheter une baguette de pain.
Cap Magellan : Tu n’es pas portugais, tu n’as aucun lien avec le Portugal ou avec la lusophonie. Donc pourquoi le Portugal ? Comment t’es-tu passionné par le sujet de l’immigration portugaise ?
Nicolas Jaillet : Je crois que c’est venu parce que la jeune femme qui m’a raconté cette histoire était d’origine portugaise et parce qu’on parle beaucoup de l’immigration espagnole mais très peu de l’immigration italienne et encore moins de l’immigration portugaise. Alors que ce sont les Portugais qui ont construit la Tour Montparnasse ! Disons que c’est né de manière anecdotique jusqu’à ce que cela devienne une évidence dûe aux spécificités de cette histoire. Une bonne histoire est un récit qui est à la fois très particulier et très universel. Il y a de très belles particularités dans l’immigration portugaise que je n’ai jamais trouvées nulle part ailleurs. Par exemple, l’histoire de la photo déchirée en deux est magnifique ! Un écrivain ne peut pas imaginer cela. L’idée de déchirer une photo, une photo de famille, un souvenir en franchissant une frontière pour la première fois, je trouvais cela digne d’être raconté. J’ai essayé aussi de sensibiliser les lecteurs, de les inviter à l’ouverture d’esprit par rapport à l’immigration. Sortir du cliché du Portugais « bon émigré ».
Cap Magellan : Est-ce que tu as eu des retours de Français sur cette histoire à travers ce livre ?
Nicolas Jaillet : Alors oui, même si en réalité il y a très peu de Français. J’ai surtout des retours de lecteurs qui reconnaissent leur histoire dans celle de Fernanda. N’importe qui peut s’y reconnaître puisque, à un moment où à un autre de notre histoire familiale, il y a une histoire de déracinement. Un retour que j’aime particulièrement c’est lorsque l’on me dit que l’on vit avec elle durant la lecture.
Cap Magellan : Pour ma part, c’est quelque chose que j’ai ressenti également. Comment as-tu fait pour obtenir ces informations ? sur les trajets ? sur la vie dans les bidonvilles de Champigny ?
Nicolas Jaillet : C’est vrai qu’il y a très peu de sources iconographiques. J’ai finalement trouvé peu de choses. Il y a un reportage photo sur Champigny réalisé par un militant syndicaliste, il y a eu une reconstitution. Il y a aussi un très court documentaire où on voit apparaître le personnage de Monsieur François que l’on appelle « Le grec » et qui a mis en place une sorte de magasin, de foire à tout au milieu du bidonville. Mes sources principales sont les témoignages de gens. Il y a un documentaire qui s’appelle La photo déchirée, un autre qui s’appelle Salto mais c’est vrai que les sources littéraires sont assez rares.
Cap Magellan : Comment fais-tu pour tirer les vers du nez des personnes avec qui tu t’entretiens ?
Nicolas Jaillet : Je ne sais pas. Je prends du temps, j’écoute les gens… C’est devenu une deuxième nature. Une phrase que j’entends souvent est : « je ne sais pas pourquoi je te raconte cela ». Je croise quelqu’un que je ne connais pas très bien, on se voit de temps en temps puis assez rapidement il se met à me raconter des choses intimes. Je pense que c’est parce que ça m’intéresse. C’est aussi une attitude : il faut se taire, il faut écouter et, si on écoute les gens, ils parlent. Donc ça prend du temps… Ce qui compte en matière d’écriture est de recueillir des témoignages dans un premier temps puis, une fois fait, le vivre vraiment, se mettre dans la situation. Il y a par exemple une longue traversée en montagne dans le froid, il faut imaginer seconde par seconde ce que voit et ce que perçoit le personnage, s’en imprégner et le raconter. Tout le monde a un peu vécu ça, tout le monde a déjà expérimenté de trop marcher et d’avoir mal aux pieds, sauf que là c’est pire. Le courage de ces gens est juste dingue et fascinant.
Cap Magellan : Tu écris de la littérature de genre. Peux-tu nous expliquer en quoi consiste ce genre littéraire ?
Nicolas Jaillet : J’ai une définition personnelle. Pour moi, la littérature de genre au sens le plus strict du terme est une littérature qui s’adresse au corps humain. Le thriller est un type de roman qui se propose de vous faire dresser les cheveux sur la tête. Le roman sentimental va déclencher une surexcitation des glandes lacrymales. C’est ce qui rend le genre un peu honteux car on dit que c’est une forme de littérature apparentée à l’exercice de foire puisqu’elle provoque de fortes émotions. N’empêche que c’est littéralement la définition de la magie : je vais modifier la physiologie des gens sans les voir, sans les toucher. C’est de la magie. Cela me fascine car c’est une littérature très réaliste, très concrète et souvent assez engagée, pas forcément à gauche. Mais c’est de la vraie littérature de genre. L’idée est de provoquer des émotions et il y a une forme d’honnêteté qui me plaît énormément.
Cap Magellan : Travailles-tu sur un nouveau livre ?
Nicolas Jaillet : Oui. Mon problème est que je change radicalement de genre à chaque livre. Je suis happé par un sujet et puis une fois que j’ai écrit un livre, j’ai souvent envie d’autre chose. Normalement il ne faut pas faire ça en tant qu’auteur. Si vous voulez percer, vous devez tout le temps faire la même chose. Mais ce n’est pas ce qui me plaît.
Je viens de terminer un texte très court. C’est une sottie comme on disait au XIXe siècle. Cela a été l’occasion de vider mon sac. Cela s’intitule L’inlu. Il sortira l’hiver prochain chez un éditeur que j’aime beaucoup qui s’appelle L’ours. Il publie très peu d’exemplaires et il les coud lui-même. Il ne fait que des textes courts qu’il imprime et produit de manière très artisanale. L’inlu est l’histoire d’un livre que personne n’a lu. C’est un best-seller qui se vend à 300 000 exemplaires mais que personne n’a lu, ni son auteur, ni son éditeur, ni son correcteur, ni le journaliste… C’est un moyen de faire un voyage dans le monde merveilleux de l’édition française où il y a des bizarreries.
Cap Magellan : Je termine toujours par ma question signature : est-ce que tu as un message général pour les jeunes lusodescendants ?
Nicolas Jaillet : Racontez votre histoire, existez, soyez chez vous.
Cap Magellan : Merci Nicolas ! J’invite tout le monde à lire Fernanda, qui est un livre génial.
Nous vous invitons à vous procurer Fernanda dans toutes les bonnes librairies ou sur le site de l’éditeur.
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Interview réalisée par Julie Carvalho,
de Os Cadernos da Julie.
Retranscription par Sophie Abreu.