L’hiver, oui, mais avec précautions !
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5 février 2019Lors de la cérémonie de remise de bourse du 19 janvier dernier, l’humoriste et comédien luso-descendant José Cruz nous avait fait le plaisir de présenter son parcours et son nouveau spectacle. Cap Magellan en a profité pour lui poser quelques questions.
Cap Magellan : Combien de temps faut-il pour mettre en place un spectacle comme Olá et En construction ?
José Cruz : Pour En construction, la préparation du spectacle avec l’écriture, les répétitions sur scène avec la metteuse en scènes et les tests ont duré un an. On a décidé de lancer le projet en octobre 2017, et les 4 et 5 octobre 2018, on a joué les premières de En Construction à Angers, au café-théâtre le Bouffon Bleu.
CM : Est-ce que les deux spectacles sont liés ?
JC : Oui, En construction est la suite de Olá. C’est le tome 2. Au début, il y a un résumé de Olá, comme une bande-annonce pour ceux qui ne l’ont pas vu, avec quelques nouveautés, et ensuite, c’est un tout nouveau spectacle.
CM : Qu’est-ce que tu fais avant de monter sur scène ? Est-ce que tu stresses encore après tant d’années ?
JC : Oui, à chaque fois. Avec la metteuse en scène avant de commencer on se redit des petites choses, on se met en confiance, on retrace la ligne et puis surtout on essaye de se remettre en disponibilité. On essaye de rester tranquilles, calmes, on se dit que tout cela n’est qu’un jeu, c’est du théâtre.
CM : Comment trouves-tu l’inspiration, et quels sont tes influences ?
JC : Il faudrait que je te présente mes parents ! Je dis ça pour rire, mais c’est en partie vrai. Mes parents quelque part sont les parents de tous les autres, qu’ils soient portugais, algériens, marocains, français ou autre. Sinon, je trouve aussi l’inspiration chez les autres. Par exemple, j’aime bien aller au café parce qu’il s’y passe plein de choses, ce sont des lieux de vie. Des endroits comme la remise des bourses aujourd’hui peuvent être des sources d’inspiration. Ça m’a donné une idée : je rêve de voir un jour un chèque qu’on donnerait au plus mauvais élève de chaque classe, parce que c’est aussi un prix qui est très rare et très difficile à discerner. Tout comme le premier de la classe, il n’y a qu’un seul dernier de la classe. Ça pourrait être une super idée de sketch.
CM : Donc ça te vient comme ça ?
JC : Oui, il faut laisser libre court à l’imagination et s’inspirer de tout, être un peu comme une éponge. Il faut absorber les choses. Il faut voir, observer, prendre et restituer sous une sauce comique, et c’est là par contre qu’est toute la difficulté. Quand ce sont des choses personnelles qui te touchent, ça peut être plus difficile à retranscrire, mais quand ce sont des choses amusantes, ça se fait plus facilement.
CM : Ton spectacle existe aussi en version portugaise. Est-ce que tu as plus de facilité à jouer en français, ou en portugais ?
JC : C’est aussi difficile l’un que l’autre. C’est ce que j’ai découvert lors de la première tournée au Portugal. C’est la même exigence, c’est le même travail. Comme c’est un spectacle comique, on recherche des rires. Donc il va falloir en avoir le plus possible, pas cinq ou dix.
CM : Tu comptes les rires ?
JC : Oui. Avec Laetitia [la metteuse en scène], on fait des débrief, on filme chaque représentation et ça nous permet de voir ce qui marche et ce qui ne marche pas. Ensuite, on retravaille pour la semaine suivante et parfois on enlève quelques choses. C’est tout un travail et c’est aussi difficile pour les deux versions, parce que les règles et les exigences sont les mêmes pour les deux. Au Portugal, j’annonçais tout de suite que j’étais « frantugais ». Donc oui, j’ai un accent, je l’accepte et je vis très bien avec. Et à partir de là, ils m’ont adopté et ça a très bien fonctionné. Après une ou deux date, tout était calé, parce que tout était assumé de A à Z. J’étais celui qui était venu et qui annonçait ce qu’il allait être sur scène. Ça a presque fonctionné plus vite qu’en France et ils m’ont proposé d’autres projets, mais j’aime la France et Paris, alors je suis revenu.
CM : Qui est-ce que tu vises ? Lorsque tu fais des représentations au Portugal à des personnes qui n’ont jamais vécu en France, est-ce qu’elles sont touchées par des blagues sur les luso-français ?
JC : Au Portugal, ça sera un public portugais. Ils comprennent tous le spectacle, parce que tout le monde a un cousin ou un oncle qui a été vivre en France, en Belgique, au Luxembourg, en Suisse ou encore au Canada. La diaspora portugaise c’est peut-être 10 millions de personnes, donc tout le monde a quelqu’un qui est parti à l’étranger. Et que ce soit un dans un pays anglophone ou francophone, c’est la même chose. Les Portuguese Kids [humoristes américains] par exemple, c’est la même chose, mais en anglais. Nous sommes les Jean-Claude Van Damme du Portugal, c’est ce que j’ai coutume de dire. Il n’y a pas de mal à ça, on ne fait pas exprès d’avoir un accent. Le fait de l’affirmer a très bien marché. En France par contre, ça a été beaucoup plus long parce qu’il y a beaucoup plus de concurrence. Il m’a aussi fallu du temps pour trouver mon style, les sujets que je voulais traiter, mes origines en tant que théâtreux, vers quelle forme je voulais aller. Quand j’ai commencé à jouer en portugais, j’avais déjà fait une grande partie du chemin en France. Donc la version portugaise a bénéficié de tout mon travail de recherches commencé deux ans avant. Olá avait été créé en 2009, d’abord sous le nom de My Hollywood Dream, et la première tournée en portugais a eu lieu en mars 2011, donc ça faisait déjà deux ans. J’avais déjà commencé à créer mon univers.
CM : Olá est un spectacle qui s’est étendu sur plusieurs années, comment a-t-il évolué ?
JC : Il y a eu quatre versions au total. Si je mets tout bout à bout, ça fait 3h30h de spectacle qui marchent, pendant lesquelles ça rit du début à la fin.
CM : 3h30 que tu retiens par coeur ?
JC : Oui. Après l’avoir jouer des trentaines de fois, je retiens. J’ai une bonne mémoire. Pour le spectacle, mais pas pour l’école.
CM : Est-ce que tu arriverais aujourd’hui à faire un spectacle aussi long ?
JC : Avec le nouveau spectacle, rendez-vous à l’Olympia. C’est l’objectif. Je l’ai déjà fait en première partie, et maintenant l’objectif est d’être l’artiste principal.
CM : Est-ce que tu modifies ton spectacle en fonction des réactions du public ?
JC : Il y a une part d’improvisation, oui, aussi parce que je viens du théâtre de rue. Je viens de cette école-là, donc j’aime ça, j’aime laisser des fenêtres ouvertes à l’interaction du public, même si ce n’est pas l’outil principal du spectacle. L’outil principal, c’est de raconter une histoire, comme au théâtre.
CM : Tu pars cet été au Portugal pour la tournée J’irais Jouer Au Portugal Chez Vous, tournée pendant laquelle tu iras jouer chez des personnes en échange d’un repas. C’est un concept plutôt original, comment t’es venue l’idée ?
JC : Je me suis demandé comment faire en sorte que cette fois-ci, la version portugaise aille aussi vite que la version française. La dernière fois, il a fallu deux ans pour adapter le spectacle en portugais et cette fois-ci, je voulais que la version portugaise naisse en même temps que la version française. On avait donc déjà commencé à travailler dessus, et je trouvais que le meilleur moyen, c’était d’aller jouer chez les gens, de découvrir la vraie source d’inspiration. J’ai coutume de dire que mon spectacle est un spectacle populaire, et donc la meilleure façon de s’inspirer est d’aller directement chez les gens. Ne pas leur demander de venir me voir, mais d’aller moi vers eux.
CM : Tu vas en profiter pour filmer un documentaire et montrer les différentes cultures des onze districts du Portugal. Ce sera plutôt sérieux ou comique ?
JC : Les deux. Tu peux montrer des choses sérieusement mais avec de l’humour. Certains messages passent mieux avec de l’humour, c’est ce que je pense.
CM : Tu as publié quelques sketchs sur internet qui ont eu du succès. Est-ce que tu préfères tout de même la scène ?
JC : Oui. La scène c’est magique, ça te donne à manger et ça te donne des frissons. C’est comme un stade de foot, c’est comme un match, on se pose toujours les mêmes questions : est-ce que ça va marcher ? Parce que rien n’est sûr, mais c’est aussi ça qui est bien, parce que ça nous permet de nous réinventer à chaque fois. Le théâtre permet d’avoir cette mise en danger. On a coutume de dire qu’avant, on a pas envie d’y aller parce qu’on anticipe, pendant, on voudrait partir, parce qu’on transpire et on stresse, mais après, on a qu’une envie, c’est d’y retourner.
CM : À quel moment as-tu su que tu voulais être sur scène ?
JC : Je l’ai su assez tardivement. Vers mes vingt ans. Avant j’en faisais seulement pour m’amuser. Je suis monté sur scène, j’ai joué, et puis voilà. Je le savais. Pour l’humour, c’était il y a onze ans lors de mon premier sketch. Je me suis complètement planté. C’était à Saint-Etienne, j’étais sélectionné pour un concours et j’ai fait un bide total. Mais en sortant, je savais que ma prochaine étape en tant qu’artiste serait l’humour. Quand je suis sorti, j’ai appelé mes copains et je leur ai dit que j’avais raté, mais que j’avais choisi de faire ça. Certains n’ont pas compris et ils me disaient que c’était du masochisme. Mais non. Je ne saurais pas l’expliquer, mais je le savais. C’était un de ces petits moments dans la vie ou c’est comme si quelque chose te parlait et te disait : “C’est ce chemin-là que tu dois suivre ». C’est ce qu’il s’est passé, les deux fois.
CM : Le fait d’avoir grandi avec cette double-culture, est-ce que ça a toujours été facile et drôle ?
JC : Non. Ça n’a pas toujours été facile parce qu’on était beaucoup moqués. Avant, c’était les autres qui faisaient des blagues sur les portugais, pas nous. Mais moi je trouve que la meilleure façon de tordre le coup aux préjugés c’est de se les approprier. Si tu n’es pas capable de rire de toi-même, les autres le feront pour toi et ça te fera mal. Mais finalement tout ce ne sont que des blagues. Les français font des blagues sur les belges, et les belges en font sur les français : ils s’aiment. Sauf à la demi-finale de la coupe du monde 2018. Les portugais font des blagues sur les Alentejanos, est-ce que les Alentejanos en veulent au reste du Portugal pour autant ? Non. Et finalement aujourd’hui, ceux qui font des blagues sur les Alentejanos sont Alentejanos. C’est très bien, il faut avoir de l’autodérision.
Je fais partie de la première génération de portugais en France. On a beaucoup souffert, parce que les autres faisaient des blagues sur nous et se moquaient de nos parents. On était un peu différents de nos copains. Par exemple, on ne peut pas dire qu’on était super à la mode, et d’ailleurs c’est des prochains thèmes que je vais traiter. C’était pas toujours agréable de se faire moquer. Et puis après j’ai appris à mieux connaitre les portugais et leur culture et j’en suis arrivé à la conclusion que moins tu connais de choses sur ta culture plus tu auras honte, parce que tu ne sauras pas quoi répondre. Aujourd’hui, c’est plus vraiment honteux d’être portugais. Le regard des autres change, grâce à Ronaldo, grâce au Fado, grâce au championnat d’Europe 2016, grâce à Lisbonne qui s’est embellie et est devenue une ville merveilleuse que tout le monde visite, et les gens voient aussi que les portugais qu’on connait, ceux qui ont dû devenir ouvrier ou quoi ne sont pas forcément tous les portugais. Ils comprennent que c’est comme ici, il y a des français qui sont ouvriers, il y a des français qui sont Ch’tis, qui ont un accent différent. Grâce à ça, on a plus besoin de choisir. Oui j’ai les deux, je suis français et portugais. Aujourd’hui, les deux font complètement partie de moi, à part entière.
CM : Et du coup, quel est ton aspect préféré de ce mélange culturel franco-portugais ?
JC : C’est que mine de rien, avec le français et le portugais, je peux discuter avec pleins de gens du monde entier, et ça c’est juste génial. Le Canada, la majorité des pays d’Afrique, le Brésil, etc. C’est quelque chose que j’ai toujours aimé, l’échange des cultures, rencontrer des nouvelles personnes, et tout ça, c’est un héritage de mes origines portugaises. Aujourd’hui c’est une richesse, une chance, parce que je peux communiquer avec pas mal de gens sur la planète.
CM : En plus de cette double culture, tu as aussi la double culture Transmontana et Algarvia.
JC : Oui, c’est le truc improbable. Quelque part l’immigration et tout ce que ça entraine de douloureux derrière, c’est de ça que je viens. Mais on en revient à ce qu’on disait tout à l’heure, c’est prendre les choses tristes et en rire. Parce que la vie continue, il faut être positif, et puis il faut vivre, remercier la vie, être souriant malgré les difficultés. Je suis né parce que mes parents étaient dans la misère, je suis en enfant de la misère. C’était la fin des années 60, ils avaient rien à manger, et s’il n’y avait pas eu ça, je ne serais pas là.
CM : Toute cette histoire, les problèmes liés à la Révolution des œillets, tout ça a nourri ton spectacle ?
JC : Mes parents ont vécu la révolution en France, ils étaient déjà partis. Mon père “deu o salto”, il est passé illégalement, ma mère fait partie des quelques chanceux qui ont eu un permis pour voyager. Donc moi je suis le résultat de quelque chose de difficile. Mais sans ça, je ne serais pas là. C’est ça qui est paradoxal. Je condamne la dictature, mais en même temps, je n’aurais pas été là si tout ça n’avait pas eu lieu.
CM : Est-ce que tu as pu en parler avec tes parents ?
JC : Pas beaucoup. Je l’ai su par les parents des autres. Je sais des choses, mais je ne sais pas tout. Je pense que c’est plus un dialogue qu’on a au travers des parents des autres. En cumulant les infos les uns des autres, on arrive à faire un regroupement et on se rend compte que nos parents ont la même histoire que ceux des autres. Quand les Portugais arrivaient ici, ils disaient à ceux qui étaient au Portugal que tout allait bien, même s’ils vivaient encore dans la misère. Et puis quand ils revenaient, il fallait montrer qu’ils avaient réussi. C’est de là aussi que vient ce côté un peu frimeur des Portugais qui reviennent au mois d’août. Mais quelque part, c’est aussi pour donner le change. On y pense pas, mais la vie était très dure ici. Quand mon père est arrivé ici, finalement c’était encore plus dur qu’au Portugal, les premiers mois du moins. Il n’avait pas d’appartement, pas de travail et rien à manger. Pas d’argent, et des préjugés en plus.
CM : Pour finir, je vais te poser quelques questions et tu réponds la première chose qui te vient. Posta a mirandesa, ou rodixio de peixe ?
JC : Posta a mirandesa.
CM : Azul ou Vermelho ?
JC : Azul. C’est la couleur de mon spectacle.
CM : Mais alors Porto ou Benfica ?
JC : Ah non, Benfica ! Mais pour l’instant, j’adopte la couleur bleue.
Merci à José Cruz d’avoir répondu à nos questions ! N’hésitez pas à aller le voir en spectacle au café-théâtre La Boîte à rire à Paris tous les samedi du 9 février au 16 mars puis dans le reste de la France.
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Propos recueillis par Maëva Capela