Cap Magellan réitère sa position contre l’extrême droite
27 mai 2024Interview avec José Cruz
3 juin 2024Le 16 mai dernier, Cap Magellan a assisté à la release party de l’album Vortex signé Amina Mezaache & Maracuja. Ce troisième album se veut le reflet de notre époque : pleine de turbulences et d’éléments en fusion, d’énergies qui circulent, s’entrechoquent et se contaminent. Amina Mezaache nous a accordé une interview exclusive.
Cap Magellan : Bonjour Amina ! J’espère que tu vas bien. Tu fais partie du groupe Maracuja. Votre dernier album Vortex est sorti le 26 avril dernier et ce soir a lieu la soirée de lancement au Studio de l’Ermitage. Depuis combien de temps travaillez-vous sur cet album ?
Amina Mezaache : Cela fait quasiment depuis la sortie du deuxième album. Il y a toujours des nouvelles créations, que nous jouons sur scène. Une partie des morceaux de cet album a déjà été jouée sur scène durant les trois dernières années, tandis que j’ai écrit les autres pour l’occasion. Nous aimons d’abord travailler les morceaux et les faire vivre sur scène pour qu’ils mûrissent : une part d’écriture se fait en live, durant les concerts.
Cap Magellan : C’est toi qui écris tous les morceaux ?
Amina Mezaache : Oui, c’est moi qui les écris. Je les amène au groupe puis il y a une part de création collective, avec une bonne part d’improvisation et d’orchestration, avec des sons que nous trouvons en improvisant et en expérimentant, des sons que nous trouvons par hasard voire par erreur et qui enrichissent les morceaux.
Cap Magellan : Votre style est le jazz hybride, mais avec des influences du monde entier puisque tu voyages beaucoup. On retrouve notamment des sonorités brésiliennes. Pourquoi le Brésil ?
Amina Mezaache : C’est une question de cœur. C’est une musique qui m’a touchée il y a une quinzaine d’années. Tout d’abord par l’écoute de Hermeto Pascoal. Je faisais beaucoup de jazz et un ami m’a fait écouter ce musicien. J’ai adoré son esprit de liberté : il fait de la musique avec tout, il est très ouvert sur des sons que nous qualifions habituellement de parasites, mais aussi ceux de la nature. Il puise dans les racines de la musique brésilienne, notamment du Nordeste, et c’est à travers ces racines que j’ai voulu approfondir ma connaissance de cette musique. Le premier voyage que j’ai fait était pour le rencontrer et pour avoir un premier aperçu du paysage et de ces cultures.
J’ai grandi en Algérie et il y a une part africaine en commun entre ces deux pays. Certaines musiques sont très proches au niveau du groove, notamment les styles chaabi et gnawa, qui résonnent avec les rythmes de samba.
Cap Magellan : Pourquoi Maracuja ? Un mot qui signifie fruit de la passion en portugais.
Amina Mezaache : La première raison est que j’ai adoré ce fruit lorsque je suis allée au Brésil. Je trouve également que c’est une belle métaphore de notre volonté première de nous plonger dans
ces musiques pour en faire une source d’inspiration pour notre création. C’est aussi un mot qui se prononce facilement pour les francophones !
Cap Magellan : Les deux premiers albums sont signés Maracuja alors que celui-ci est signé Amina Mezaache & Maracuja. Pourquoi avoir voulu rendre ton nom visible ?
Amina Mezaache : J’ai toujours été la leadeuse et compositrice du groupe. J’ai voulu présenter ce troisième album en tant que mon travail personnel, pour montrer au public que c’est mon univers, que cela dépasse le côté musique brésilienne, musique du monde ou jazz. Ce sont avant tout mes compositions. Également, je trouve intéressant pour les jeunes générations de voir une leadeuse féminine. Le côté égo me gênait sur les premiers albums : je n’avais pas envie de me montrer et c’était l’interaction qui était plus importante pour moi. Après réflexion, je me suis dit que cela pouvait être inspirant pour les jeunes.
Cap Magellan : Que pourrais-tu dire à des jeunes réticents à l’idée d’écouter du jazz pour les convaincre ?
Amina Mezaache : La première chose est d’aller écouter cette musique en live, d’aller vivre cette expérience sur le moment, avec les musiciens. Cela n’a pas le même impact sur les oreilles, sur le corps, etc. Le jazz est avant tout une musique qui se vit. Nous sommes dans une époque où tout se numérise, mais le fait d’être dans une salle et d’entendre les fréquences d’un instrument, cela ne peut pas se remplacer. À cela s’ajoute le côté humain, le fait de voir des musiciens vivre leur musique sur scène. Cela touche beaucoup plus. C’est mon seul conseil !
Cap Magellan : Généralement, il n’y pas de parole ou de chant dans le jazz, mais toi, tu y as ajouté du rap. C’est un mélange très atypique et assez incroyable. Pourquoi l’avoir fait ?
Amina Mezaache : C’était une volonté de sortir du cadre. Nous sommes un groupe de musique instrumentale, nous faisons du jazz, de la musique inspirée, musique du monde, qui n’a rien à voir avec le rap, mais nous assemblons les deux. Edgar Sekloka est un musicien que j’ai rencontré sur d’autres projets. Il y a une raison humaine dans cette collaboration puisque c’est une personne que j’apprécie au-delà de la musique.
Cap Magellan : Après ces trois albums, y en a-t-il un autre de prévu ?
Amina Mezaache : Je le souhaite. Cela fait douze ans que nous jouons ensemble. Faire tourner un groupe de musique instrumentale n’est pas quelque chose de simple, parce que c’est une musique que nous pouvons qualifier d’inclassable, ce n’est pas du easy listening. Il faut de l’énergie pour porter cela et ne pas lâcher en cours de route. Il y a des périodes où c’est plus compliqué de trouver des concerts. Tant que nous continuons à faire des concerts, nous continuerons à sortir des disques. Le fait d’enregistrer des morceaux est très intéressant puisque cela permet de garder une trace de ce que nous sommes à un instant donné.
Cap Magellan : D’ailleurs, les neufs morceaux de l’album ont été enregistrés en trois jours dans une salle particulièrement choisie avec une acoustique particulière. Comment choisit-on une salle d’enregistrement ?
Amina Mezaache : J’ai trouvé un endroit qui me plaît beaucoup. C’est le troisième enregistrement que je fais à Midilive Studio. L’intérêt de cette pièce est qu’elle est grande et divisée en différents espaces semi-fermés. Cela permet d’avoir à la fois un son d’ensemble capté, mais aussi des instruments isolés. Nous pouvons ainsi travailler le son en aval pour faire ressortir le meilleur des sons de chaque instrument au mixage. Cela permet de travailler les couleurs de chaque morceau et de donner ainsi une identité propre à chaque composition.
Cap Magellan : En parlant de couleurs, la pochette de l’album est très colorée et très visuelle, tout en étant assez énigmatique. Comment as-tu choisi cette peinture ?
Amina Mezaache : J’ai voulu une peinture abstraite. Les couvertures des premiers albums étaient des dessins figuratifs. Je voulais de l’abstrait pour que chacun puisse se faire son scénario de la peinture. C’est Rodin Sotolongo qui l’a réalisée, un ami artiste. Il est passionné de musique et j’ai trouvé qu’il y avait énormément de rythme dans sa peinture, de mouvement. Pour le nom, Vortex, cela se prêtait bien à ce côté mouvementé, un peu tourmenté, virevoltant. Avec ce titre, j’ai voulu évoquer un esprit de l’époque. C’est un album qui a commencé à être créé avec le confinement de 2020. Il y a également de cet esprit : le côté joyeux, mais aussi le côté tourmenté, introspectif.
Cap Magellan : Pourquoi avoir choisi le Studio de l’Ermitage pour ce soir ?
Amina Mezaache : C’est une salle dont j’aime beaucoup le son. C’est très agréable pour les musiques acoustiques. C’est aussi parce que je connais bien l’équipe, ce sont des personnes qui ont une belle âme, qui militent pour mettre en avant des musiques peu connues, originales, etc. depuis des années. C’est un peu comme une famille.
Cap Magellan : Quelles sont les prochaines dates de concert ?
Amina Mezaache : Le 22 juin, pour la fête de la musique, nous serons à Eaubonne Jazz dans le Val d’Oise (95). Cet été, nous allons un peu à droite à gauche en France, notamment dans un festival qui s’appelle le Jazz Vialas, en Lozère (48). Nous y serons le 1er août.
Cap Magellan : Pour finir, ma question signature : est-ce que tu aurais un message pour les jeunes lusodescendants ?
Amina Mezaache : La première chose qui me vient est en lien avec la musique. Cette culture est tellement riche ! Je les encourage à la découvrir et à en faire partie. C’est une culture qui n’est vivante que par les échanges avec le public. Le fait d’aller voir un concert représente plus que du divertissement : c’est un acte militant, c’est se mobiliser pour faire partie d’une énergie commune pour faire vivre une culture qui a besoin de corps et d’humains pour ne pas se perdre dans le numérique. Continuez à aller aux concerts et n’ayez pas peur de faire de la musique !
Cap Magellan : Merci Amina ! Nous avons hâte de te voir sur scène !
Vortex est disponible sur toutes les plateformes de streaming audio.
Nous vous invitons à consulter le site internet d’Amina Mezaache, ainsi que de la suivre sur les réseaux sociaux : Instagram, Facebook, YouTube.
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Interview réalisée par Julie Carvalho,
de Os Cadernos da Julie.
28/05/2024