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5 avril 2024Avez-vous entendu parler de la pièce Saudade Ici et Là-bas ? Elle est décrite comme un spectacle musical qui chante, rit et pleure, au-delà des époques et des frontières. L’histoire d’une famille, d’un amour, d’un exil ! Cette pièce a été écrite par Isabel Ribeiro, mise en scène par Alexis Desseaux et elle compte sur la participation de Dan Inger Dos Santos, Isabel Ribeiro et Simon Quintana. Cap Magellan a voulu en savoir plus pour vous et a obtenu une interview exclusive de Isabel Ribeiro, auteure de la pièce, accompagnée de Dan Inger Dos Santos, comédien-chanteur.
Cap Magellan : Salut Isabel et Dan ! Je suis très contente d’être enfin avec vous et d’avoir eu l’opportunité de voir la pièce Saudade Ici et Là-bas, écrite par toi Isabel. Depuis combien de temps la jouez-vous sur scène ?
Isabel Ribeiro : La première fois c’était une sortie de résidence, donc cela fait quasiment deux ans et demi que nous la peaufinons. Déjà pendant la résidence, nous réécrivions des passages, notamment en fonction de ma vision du texte dans la bouche des autres comédiens… Je trouvais de nouvelles idées, j’essayais d’enrichir le propos, etc. Nous avons eu la chance d’avoir pu, par la suite, nous représenter à Paris, en Normandie, etc.
Dan : Nous avons fait deux représentations en Normandie au sein du festival « Novembre en Normandie ». C’est là que nous nous sommes aperçus que ce spectacle n’était absolument pas fait uniquement pour les Portugais. Nous nous battons contre ce préjugé. Effectivement, c’est l’histoire de la vente d’une maison au Portugal, mais en réalité c’est un sujet qui peut toucher tout le monde. Le déracinement n’est pas non plus propre à notre culture : même des provinciaux qui montent à la capitale le ressentent. Tout le monde peut s’y retrouver. C’est réellement en Normandie que nous nous sommes aperçus de l’universalité de cette pièce.
Isabel : Je cite souvent la phrase de Tolstoï, qui me parle par rapport à la pièce : « Si tu veux parler de l’universel, parle de ton village ». Elle m’a rassurée sur le fait que cela pouvait toucher tout le monde. Il faut partir de soi pour atteindre le plus grand nombre. Avignon a d’ailleurs confirmé le fait que, quelque soit l’origine du public, cette histoire résonne. Chacun y reconnaît quelque chose de sa vie.
Pour revenir sur ta question initiale, nous avons fait plusieurs dates avant Avignon et nous avons désormais une tournée qui commence.
Cap Magellan : En parlant d’Avignon, vous vous êtes donc représentés au festival d’Avignon, pouvez-vous expliquer ce que cela représente dans le monde du théâtre ?
Dan : Avignon est la vitrine du spectacle vivant. Tous les jours, pendant quasiment trois semaines, il y a entre 1 400 et 1 800 spectacles . C’est un combat de tous les instants ! Nous jouons, mais nous devons également aller démarcher, distribuer des tracts, essayer de conquérir le public qui ne nous connaît pas, etc. C’est grâce à l’édition 2023 que nous avons pu obtenir quatre dates à Monaco et dix dates au Studio Hébertot, dans le 17e arrondissement de Paris.
Pour ma part, c’était la première fois que je faisais Avignon. J’en rêvais depuis très longtemps ! C’est une sorte de boutique où le grand public peut venir, avec des prix plus abordables que sur Paris et où ils peuvent assister à plusieurs représentations par jour.
Cap Magellan : Quand tu as écrit la pièce Isabel, ton but était-il aussi de transmettre la saudade au public, qui n’est pas forcément lusophone ?
Isabel : Pour moi, tout le monde ressent la saudade. Nous avons simplement réussi à mettre un mot dessus. Nous n’arrivons pas à le traduire, mais c’est un sentiment que tout le monde ressent. Je pense qu’en sortant de la pièce, les spectateurs se sont rendus compte qu’eux aussi la ressentait. Nous sommes surtout fiers d’avoir un mot pour l’exprimer !
Initialement, je voulais réaliser un documentaire il y a 10 ans. Je voulais raconter ce qu’avaient vécu des générations de Portugais ayant quitté leur pays aux Français, pour qu’ils connaissent aussi leur pays. Je voulais également le diffuser au Portugal, pour que chacun puisse comprendre et savoir par quoi sont passés certains membres de leur famille. Lorsque le fait d’écrire une pièce de théâtre s’est présenté, cela a été compliqué de trouver l’axe, puis je me suis dit que c’était l’occasion de ramener ce sujet sur la table. Ma « mission » avec ce spectacle est de rendre hommage à cette génération, de les remercier, les raconter et les faire vivre, mais également que cela se transmette aux générations futures. Etant maman, il est important pour moi que mon fils connaisse son histoire et sache d’où il vient.
Cap Magellan : Dans la pièce d’ailleurs, on voit bien que Joana retourne vivre au Portugal. C’était important de mettre un personnage aussi positif sur l’avenir au pays ?
Isabel : Elle est optimiste et en même temps elle sent que ce pays a quelque chose à lui apporter dans sa vie. Elle aussi peut contribuer à ce pays. Son rapport au Portugal est différent de celui de son grand frère : lui a quitté petit le pays, il a subi des critiques et du racisme en France. Ce qui est intéressant dans la pièce c’est que chaque personnage a une vision personnelle, un lien unique au Portugal. Joana a développé sa propre relation avec le Portugal, notamment parce qu’elle n’y est pas née. Son regard est différent, elle l’a étudié, elle en connaît l’histoire et la littérature et y voit donc un idéal que son frère ne voit pas. Elle représente une génération qui est retournée au Portugal.
Dan : Idalio, le grand frère, n’est pas pessimiste du tout. Il y a une dualité énorme en lui : il ne veut pas vendre la maison, c’est elle qui en prend l’initiative parce qu’il le faut. C’est une pièce où rien n’est blanc ou noir, tout est dualité. Idalio aime ce pays, il ne veut pas de coupure, mais il n’y va pas parce que sa vie est avec une Française. Il y a une dualité à l’intérieur de lui-même. Mais le fait que sa sœur s’y installe lui fait plaisir.
Cap Magellan : Comment vous êtes-vous rencontrés et comment avez-vous décidé de travailler ensemble sur cette pièce ?
Dan : Avant de me lancer dans la musique, ma première expérience artistique a été le théâtre. Vers 15 ou 16 ans, un ami m’a emmené au Théâtre du Fil, un théâtre poussé par le ministère de la culture ainsi que celui de la justice, parce qu’il accueille des jeunes de tous les environs. Cela m’a ouvert les yeux sur plusieurs problèmes de société!
Pour ma rencontre avec Isabel, c’est elle qui m’a lancé un défi. Il y a au moins sept ans, elle m’a défié de chanter avec elle. Cela m’a rappelé lorsque je l’ai moi-même fait avec Lio ou Rui Veloso et cela m’a flatté. Elle m’a envoyé des audios d’elle en train de chanter, j’ai aimé sa voix et je l’ai invitée à chanter avec moi lors de l’un de mes concerts.
Isabel : Pour la pièce, je cherchais un comédien-musicien. J’ai posté une annonce sur les réseaux sociaux, en sachant qu’il allait certainement réagir et cela n’a pas loupé ! Nous avons discuté de la pièce, de ce que j’attendais de ce comédien, etc. C’était la personne adéquate pour ce projet ! Le metteur en scène a rapidement validé et nous avons commencé l’aventure.
Cap Magellan : La musique est centrale dans cette pièce. Pourquoi ce choix ?
Isabel : Lorsque je suis sur scène, j’aime pouvoir chanter, jouer, bouger, danser, etc. A l’inverse de Dan, j’ai commencé par le chant. C’est un aspect qui fait entièrement partie de moi et de ma formation. Dès lors que je suis sur scène, j’en profite pour y ajouter du chant. Pour cette pièce, la musique est d’autant plus importante qu’elle permet de transmettre bien plus que les dialogues. Dans certaines situations, les mots nous manquent et la chanson vient compléter nos discours. C’était important qu’il y ait de la musique également pour créer un voyage. Toutes les musiques sont liées à la lusophonie, afin de montrer l’étendue de cette langue dans le monde. Je voulais laisser une grande place à la musique pour pouvoir embarquer les spectateurs d’une autre façon, afin de les emmener vers un ailleurs.
Cap Magellan : Pourquoi commencer la pièce par la chanson Sodade de Cesaria Evora ?
Isabel : Tout d’abord, parce que le titre est le même que la pièce, mais également parce que cela parle tout de suite aux gens. Cette chanson évoque intensément le manque et elle permet un mouvement, elle permet d’embarquer immédiatement le spectateur. Lorsque je la chante, j’ai l’impression d’essayer de retenir quelque chose qui s’éloignerait de moi, comme un cri.
Cap Magellan : Le spectacle est scindé en deux parties : l’une dans le présent, avec la vente de la maison, et l’autre dans le passé. Pourquoi avoir voulu faire ce retour dans le temps ?
Isabel : C’était nécessaire de voir toutes les générations du début à travers les personnages de Manuel et de Ilda. Ils sont tous personnifiés en eux. C’était important de pouvoir les entendre, au-delà du simple récit de leur départ. . Dans la première partie, le déchirement est présent, tandis que dans la deuxième le déchirement se confond avec l’espoir d’une vie meilleure. Cela permet aux spectateurs de voir face à eux tous ces émigrés, ces gens que l’on croise dans la rue tous les jours. Cela permet de les rendre réels.
Cap Magellan : Quand pouvons-nous vous voir prochainement ?
Dan : Nous serons à nouveau à Avignon en 2024 ! C’est une très belle occasion pour nous, puisque nous célébrons les 50 ans de la révolution des œillets. Même si nous n’en parlons pas directement, elle est tout de même en toile de fond du début à la fin. Si vous souhaitez nous aider, la compagnie Cinéthéact ouvre un crowdfunding sur helloasso. Les dons sont honorés de contreparties à découvrir ! Sinon nous serons les 18, 19 et 20 avril au théâtre Les Muses de Monaco à 20h, le 21 avril au même théâtre mais à 16h30. Pour Paris, ce sera les lundis 19h et les mardis 21h à partir du 29 avril et jusqu’au 28 mai, au Studio Hébertot. Nous sommes également en pourparler pour certaines représentations.
C’est une pièce qui demande à être vue et nous souhaitons passer partout pour que cela soit plus pratique pour chacun.
Cap Magellan : Ma dernière question est ma question signature : est-ce que vous auriez un message pour les jeunes lusodescendants ?
Isabel : A un moment donné dans la vie de ces jeunes, leurs origines vont revenir et ils vont comprendre à quel point c’est important de chercher à comprendre, de poser des questions, etc. C’est une richesse d’avoir une origine. Accueillez ces origines. Tout le sacrifice qui a été fait par vos parents ou grands-parents ne devrait pas se perdre. Il faut en parler, raconter et transmettre. Soyez fiers de vos origines !
Dan : Ce sont des origines qui font partie de nous. Nous n’avons pas à les cacher ni à les exacerber. C’est notre personnalité et nous n’avons pas à en rougir, parce que c’est une histoire grandiose. En grandissant, comme disait Isabel, la vie nous rattrape et nos origines finissent tôt ou tard par revenir.
Cap Magellan : Merci à tous les deux ! J’ai hâte de vous revoir sur scène à Paris.
Nous vous invitons à prendre vos places pour les prochaines représentations, ainsi qu’à suivre l’aventure de la pièce sur Facebook !
N’hésitez pas à faire un don sur helloasso pour les aider à amener la pièce jusqu’au Festival
Off d’Avignon !
Interview réalisée par Julie Carvalho,
de Os Cadernos da Julie.