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18 avril 2025Claire Luzi et Cristiano do Nascimento sont auteurs, compositeurs, interprètes, fondateurs et directeurs artistiques de La Roda, l’un des principaux représentants des musiques populaires brésiliennes en France et en Europe, à travers la production de spectacles et la transmission de pratiques artistiques depuis 2007. Nous avions déjà réalisé plusieurs interviews avec Claire Luzi mais aujourd’hui, ils sont là pour nous parler de leur festival, le Festival International de choro d’Aix-en-Provence qui se tiendra du 14 au 20 avril 2025.
Cap Magellan : Bonjour Claire Luzi et Cristiano do Nascimento, j’espère que vous allez bien. Vous êtes les créateurs et organisateurs du Festival International de choro d’Aix-en-Provence. Pour commencer, est-ce que vous pouvez nous présenter ce projet ? Comment est-il né ? Qu’est-ce qui s’y passe?
Claire Luzi et Cristiano do Nascimento : Depuis que nous avons créé la compagnie, notre idée est de transmettre le choro le plus possible : le transmettre à travers nos créations en spectacle et en disque, bien sûr, mais aussi en faisant venir les copains du Brésil avec qui on aime tellement jouer, et puis élargir le cercle des musiciens aussi, c’est-à-dire, faire en sorte qu’il y ait de plus en plus de gens qui jouent le choro avec nous en France et en Europe et autour de nous.
Depuis que nous nous sommes établis en France, nous avons toujours essayé de faire venir des artistes, des collègues, de façon sporadique, plus ou moins improvisée ou plus ou moins structurée. Par exemple, en 2012, nous avions déjà presque fait un petit festival sur trois jours à la Cité de la Musique de Marseille. Nous avions invité Teca Calazans et des groupes de choros français. Nous l’avions fait localelement, mais avec des gens qui ont un joli parcours et qui font de la belle musique ; et des rodas, toujours des rodas de choro, à Marseille pendant de nombreuses années puis vers Aix-en-Provence et vers Pertuis. Nous avons régulièrement fait ça, toujours en essayant d’inviter des gens, de faire venir d’autres musiciens pour agrandir la roda.
En 2023, nous avons produit le premier festival. On s’est dit : « passons le pas après les confinements pour se redonner du courage, on va inviter tout plein de copains, on va faire des belles choses, on va embarquer des partenaires dans cette affaire ». C’est vrai que c’était une période assez morose, on ne savait plus trop si la musique qu’on faisait intéressait les gens et puis on s’est dit qu’il fallait le faire et qu’on verrait bien.
Nous avions invité Pedro Aragão qui, à l’époque, était installé au Portugal. Nous n’avions pas énormément de moyens donc nous avons tout fait un peu comme ça, comme nous pouvions. Nous avions quand même eu un partenariat avec la ville d’Aix qui a mis à disposition de très belles salles. Le public a plus que répondu, puisque toute notre programmation a été archi-complète. Il y avait des gens dehors à chaque fois, nous n’avons pas pu faire rentrer tout le monde. Cela nous a redonné beaucoup d’énergie. Nous nous sommes rendus compte que les gens étaient enthousiastes à l’idée de découvrir cette musique, de la pratiquer, de la jouer. Cela nous a donné envie de repartir pour une nouvelle édition cette année, en BNI (technique de marketing du qui donne reçoit) plutôt, parce que notre structure est quand même assez modeste pour faire un gros projet tous les ans. Comme c’est l’année de la saison France-Brésil, nous avons vraiment conçu un programme bien plus ambitieux puisque cette année nous avons huit invités.
CM : Pour ceux qui ne connaissent pas, comment est-ce que vous décririez le choro ?
Claire Luzi et Cristiano do Nascimento : Il faut le situer dans le temps. Ce serait un peu la première musique urbaine, instrumentale née au Brésil. On est dans une musique qui a influencé les musiques de danse et de salons européens qui avaient un grand succès à l’époque, comme la polka, escotiche, mazurka, des partitions qui venaient à l’époque, avec beaucoup de piano, à Rio de Janeiro. Les gens entendaient et essayaient de reproduire ces pièces-là et c’est ce qui donne le choro. Au départ, c’était une façon d’interpréter, de jouer, avec toutes ces influences américaines et africaines, donnant un swing et une rythmique spéciaux. C’est une musique assez familière, une musique familiale aux oreilles du public européen parce que c’est comme si c’était un Chopin noir. C’est le Chopin noir, métis, à l’africaine.
CM : Après une première édition réussie de votre festival l’année dernière, comment abordez-vous celui de cette année ? Vous sentez-vous un peu anxieux, excités ?
Claire Luzi et Cristiano do Nascimento : Les deux, nous sommes dans un contexte de baisse drastique des subventions publiques sur la culture. Cela nous a touché de plein fouet, à tel point que nous avons hésité un long moment entre annuler et maintenir. Nous avons finalement décidé de maintenir, mais dans des conditions très difficiles. Heureusement, nous avons un vrai soutien de la saison France-Brésil. Mais financièrement, c’est très difficile. Aujourd’hui, nous ne savons pas si nous pourrons être payés pour ce festival. Ce sera seulement si nous remplissons les salles à 100%, ce qui n’est jamais gagné parce que nous avons aussi dû un peu augmenter le prix des places pour le public.
Au-delà de cela, ce sera quand même à Pâques, une période où il y a beaucoup de sollicitations dans la ville printanière d’Aix-en-Provence. Donc, c’est vrai que l’anxiété, on ne peut pas la nier, elle est là et c’est une préparation avec beaucoup de stress dû aux financements publics qui ne sont pas au rendez-vous comme c’était annoncé au départ. Nous devions préparer ça de façon beaucoup plus sereine.
Pour autant, une fois que nous avons décidé de lancer cette deuxième édition, nous sommes dans la joie et l’enthousiasme à l’idée de recevoir tous ces artistes que nous admirons. Nous allons beaucoup apprendre, nous allons partager avec plein de gens avec qui nous avons de la proximité artistique et humaine. Donc nous sommes très heureux.
CM : Avez-vous eu des retours du public, des artistes qui vous ont raconté la façon dont ils avaient vécu ce moment ?
Claire Luzi et Cristiano do Nascimento : Oui, beaucoup. Ce qui nous a beaucoup touché de la part du public, c’est que ce n’était pas vraiment le public proche de nous, c’étaient des gens qui découvraient et qui exprimaient volontiers leur émerveillement.
Il y a également eu beaucoup de stagiaires avec ce volet pédagogique. Nous avons reçu des lettres après coup, qu’ils ont envoyées pour remercier, avec des cadeaux et des livres. Nous avons été très touchés par ça.
Nous avons aussi eu des retours des musiciens qui ont participé. Malgré le fait que c’était assez modeste, c’était intense, fort et je pense que l’amour que nous avons mis s’était senti.
CM : Cette année, c’est Abel Luiz qui est votre invité d’honneur. Pourquoi l’avez-vous choisi ?
Claire Luzi et Cristiano do Nascimento : Il y a beaucoup de raisons. Abel, avant tout, c’est un être humain incroyable avec une grande générosité. J’ai eu la chance, quand je commençais dans le choro de le rencontrer, lui qui était né dedans. C’est vraiment de famille. Son grand-père l’emmenait dans les rodas de choro avec les vieux. Il est presque le dernier lien entre les vieux qui sont les fondations de cette musique et nous, la génération la plus jeune. Il fait ce lien, ce pont, parce qu’il a vécu profondément, grâce à son grand-père, avec tous ces vieux. Pour autant, il est très conscient de l’époque dans laquelle il vit, parce que le choro est une musique vivante qui n’arrête pas d’évoluer. C’est quelqu’un qui sait donner, qui aime donner, avec de grandes qualités humaines, mais aussi musicales. C’est un grand compositeur et instrumentiste, d’une virtuosité et éblouissante. Il maîtrise toutes les cordes. D’ailleurs, au festival, il va amener quatre de ses cordes, quatre instruments de cordes différents. Il va faire une partie solo. Nous sommes très proches. C’est quelqu’un que nous rêvons de faire venir depuis des années. Là, l’occasion se présente, c’est cette année.
Ce que je peux ajouter, c’est que si vous allez à Rio, Abel est complètement incontournable, vous allez le voir partout. En plus, on le repère facilement, c’est un noir albinos, et il est dans partout. Il accompagne tous les musiciens, il est dans toutes les rodas de choro. Vous allez le voir tous les jours jouer à Rio, toujours avec ses baskets, sa banane. Il joue tout le temps, partout, il est brillant et tout le monde veut être accompagné par lui, mais ce n’est pas non plus quelqu’un qui va se produire. C’est quelqu’un du terrain, de la roda, des banlieues. Nous avions envie de montrer aussi le choro qui ne s’exporte pas : le choro des banlieues, le choro des vieux, le choro de la rue.
Les musiciens qui arrivent à venir en Europe sont ceux qui sont déjà un peu structurés, qui ont une production qui les aide à se montrer à l’extérieur, qui ont de belles images. Abel n’a pas vraiment de belles images, c’est sa musique à lui qu’on a envie de montrer cette année aussi.
CM : Votre festival est marqué par L’heure du bœuf. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Claire Luzi et Cristiano do Nascimento : Au départ, c’est un spectacle que nous avons créé officiellement en 2019, mais qui était dans nos tuyaux depuis très longtemps. C’est tout un travail que nous menons autour du personnage de Darius Milhaud, compositeur aixoi, qui est allé au Brésil dans les années 1920, qui y a passé deux ans où il était attaché d’ambassade de Paul Claudel, et qui a été ébloui par les musiques populaires brésiliennes, en particulier le choro. Il a rencontré et vu jouer Ernesto Nazareth, il a connu Chiquinha Gonzaga. Il les a vus et a rapporté dans ses valises cette musique qui l’a éblouie et qui a ensuite vraiment imprégné toute son œuvre. A tel point que, quand il est revenu en France en 1920, il s’était fait un peu l’ambassadeur des musiques brésiliennes : il organisait des concerts, il faisait venir des artistes à Paris. En plus d’être une figure aixoise importante, d’autant plus pour nous qui sommes implantés à Aix, cela nous trotte dans la tête de faire le parallèle entre nos parcours. On se dit aussi que c’est un compositeur qui gagne à être connu, qu’on peut mieux comprendre sa musique en découvrant mieux le choro. Finalement, beaucoup associent Darius Milhaud à la musique brésilienne sans savoir de quelle musique il s’agit réellement.
Au début, nous faisions un concert-conférence où nous jouions par exemple les choros qui sont cités dans Le Bœuf sur le Toit, qui est l’œuvre la plus célèbre et c’est un pot pourri de 30 choros. Étant donné qu’ici les gens ne connaissent pas le choro, nous nous sommes fait un devoir de montrer quelles étaient les sources de Darius Milhaud et comment il a joué, à sa façon, avec son inventivité. C’est cette idée-là qui a sous-tendu ce projet.
Quelques années plus tard, en 2019, notre concert-conférence s’est transformé en un opéra de poche où nous avons eu envie de déployer dans cette histoire toute notre fantaisie. C’est un spectacle très fantaisiste, que nous avons eu la chance de travailler avec des scénographes, une costumière et une metteuse en scène. Nous avons réalisé un vrai travail d’orfèvre sur ce spectacle. Nous y racontons l’origine de l’expression « faire le bœuf ». Le bœuf, c’est la même chose que la roda : c’est quand les musiciens se réunissent ensemble de façon informelle. L’expression faire le bœuf vient en réalité du Brésil. En passant par l’histoire de Darius Milhaud, nous expliquons cette origine.
Enfin, cette année nous avons sorti un livre-disque. Nous avons fait appel à une autrice, Dominique Dreyfus, qui nous a écrit cette histoire avec une plume très légère. Nous avons aussi fait appel à un illustrateur français, Sylvain Barré, qui vit à Sao Paulo depuis plusieurs années et qui a un art complètement imprégné des deux cultures. C’est un grand aboutissement pour nous de fixer ce travail dans un objet qui va rester et qu’on espère partager largement.
L’heure du bœuf sera une soirée de lancement le 17 avril pendant le festival, avec une représentation du spectacle repris où nous allons faire des surprises. Nous allons profiter du fait d’avoir des collègues éminents du Brésil pour leur demander de participer à cette histoire. En deuxième partie, ce sont donc nos musiciens invités qui vont jouer autour des choros que Darius Milhaud a entendu dans les années 1920. Je pense qu’ils vont jouer un peu de Darius Milhaud aussi. C’est la soirée de Paulo Aragao qui a préparé des transcriptions. C’est un grand spécialiste de Darius Milhaud et du choro notamment, mais c’est quelqu’un qui aime beaucoup et qui connaît très bien l’œuvre de Milhaud. Il a fait quelques transcriptions pour des groupes de choro et a aussi participé à des ouvrages remarquables sur ce sujet à Rio.
CM : Qu’est-ce que vous diriez à ceux qui hésitent à venir au festival ?
Claire Luzi et Cristiano do Nascimento : S’ils veulent sortir du Brésil cliché, il faut venir. C’est l’occasion de montrer une musique, qui est toute une culture. Je n’ai pas peur de dire que c’est la vraie musique nationale, celle que l’on rencontre partout dans le Brésil. Ce n’est pas celle qui est dans tous les médias, pas la plus populaire dans ce sens, mais c’est la musique présente partout dans le Brésil, qui reflète vraiment l’âme du Brésil.
Il y en aura vraiment pour tous les publics. Il y a une exposition photo magnifique que nous allons installer le 14 avril, mais qui est déjà exposée dans un autre festival qui nous a précédés, avec des portraits de chorões, de tout le Brésil et même un peu d’Europe. Il y en a de tous âges, de toutes les couleurs, de tous les milieux sociaux. Elle est très touchante, cette exposition d’Olivier Lob qui est aussi un musicien chorão, un de nos amis. Il y a aussi une partie pensée pour les enfants, les jeunes et les familles avec L’heure du bœuf et des ateliers de pratiques pour tous où nous allons initier les gens au rythme du choro pour qu’ils puissent venir s’essayer dans les rodas. Nous avons vraiment envie d’inviter les gens à venir voir ça de près et de participer, d’être au plus près des artistes et de la musique.
CM : Selon vous, comment ce festival va-t-il permettre la préservation et la transmission justement du choro ?
Claire Luzi et Cristiano do Nascimento : Question difficile. Le choro vient d’être reconnu patrimoine immatériel. Cette reconnaissance au Brésil permet peut-être de maintenir des genres musicaux comme ça. Le festival sert pour ceux qui ne connaissent pas, qui pourraient s’approcher de nous et participer à des ateliers. Après, il y a une grande masterclass qui va avoir lieu avec tous les artistes toute la semaine et nous avons déjà presque 40 inscrits, donc qui viennent de toute l’Europe : d’Allemagne, d’Italie, d’Angleterre, d’Espagne, etc. Ça va être aussi une réunion de tous les gens qui sont passionnés par cette musique. Il y aura deux stages, deux masterclass : une pour ceux qui veulent découvrir, qui sont déjà musiciens mais qui veulent s’initier à cette musique en la pratiquant déjà de façon approfondie ; l’autre pour ceux qui sont déjà dans le choro, déjà passionnés et qui veulent se rencontrer, jouer ensemble. C’est très important et cela permet d’ approfondir avec des grands maîtres qui seront là.
Dans ce festival, il y a effectivement une dimension de valorisation d’un patrimoine, mais aussi de rencontre et de création : stimuler de nouvelles créations avec plein d’artistes et de plusieurs niveaux différents ensemble pendant toute une semaine à jouer, à partager et puis à créer.
CM : Pour finir, la question que je pose à la fin de chaque interview : auriez-vous un message pour les jeunes lusodescendants ?
Claire Luzi et Cristiano do Nascimento : Quelle responsabilité ! Peut-être garder l’espoir, foi au monde, garder le cap avec une tête sereine. Nous avons besoin d’être tous sereins. Rester aussi dans la poésie, pour vivre avec poésie, faire entendre toujours cette langue qui porte tellement de poésie et les cultures d’échange et d’enrichissement. Je crois que ce sont des ingrédients importants et qui vont donner de l’espoir, Esperança!
CM : Merci beaucoup Claire et Cristiano. Nous invitons tout le monde à vous rejoindre du 14 au 20 avril !
Prenez vos places pour le festival international de choro d’Aix-en-Provence sur le site de La Roda.
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Interview réalisée par Camille Vaz Folia
et Julie Carvalho, de Os Cadernos da Julie.
Publié le 16/04/2025