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13 septembre 2023A l’occasion de son exposition Saudades au LAVO//MATIK, Cap Magellan a rencontré l’artiste L’Empreinte Jo V. Il nous a offert une interview exclusive.
Cap Magellan : Salut ! J’espère que tu vas bien. Tout d’abord, est-ce que tu pourrais te présenter ?
L’Empreinte Jo V : Je m’appelle L’Empreinte Jo V. L’empreinte parce que je signe mes œuvres avec mon empreinte digitale. Je mets de l’encre sur mon doigt, que je mets sur l’œuvre et j’en ai fait ma signature !
Cap Magellan : Mais j’ai remarqué que tu as un autre signe distinctif sur tes œuvres : un petit cœur. Pourquoi ce choix ?
L’Empreinte Jo V : Le cœur est arrivé une fois sur une œuvre de rue par hasard. C’était une œuvre avec beaucoup d’émotion et je l’y ai rajouté pour accentuer l’émotion. C’est un cœur qui saigne. Les gens ont adoré et ils se le sont approprié ! Malgré moi, je suis obligé de mettre le cœur désormais, sinon on me dit que l’œuvre n’est pas finie. Je signe avec mon empreinte digitale et avec le cœur !
Cap Magellan : Nous sommes aujourd’hui au LAVO//MATIK pour le dernier jour de ton exposition du nom de Saudades. Pourquoi ce nom ?
L’Empreinte Jo V : Nous sommes bien au LAVO//MATIK des arts urbains. Lorsque Ben, le propriétaire, m’a proposé de faire une exposition, j’ai accepté, mais en précisant qu’elle serait personnelle, par rapport à mes origines et à mes parents, portugais, qui sont partis pendant la dictature. Je voulais des tableaux retraçant cette génération ainsi que la future génération. Saudades donc par rapport au sentiment que nous avons lorsque nous traversons la frontière, a saudade portuguesa en fait ! Comme j’ai fait beaucoup de visages avec des émotions dans les yeux, c’est d’ailleurs principalement pour ça que je suis connu, pour que les gens comprennent l’émotion, j’en ai fait une petite traduction à ma façon. C’est un mot intraduisible que seuls les Portugais connaissent et qui veut dire énormément de choses et rien en même temps, qui retrace notre histoire et l’histoire de nos parents qui sont partis pendant la dictature, des générations futures qui retourneront au pays ou peut-être pas. Le seul titre que j’ai trouvé pour décrire au mieux ce sentiment que je souhaitais transmettre c’est la saudade. Il permet de faire ce lien intergénérationnel et émotionnel.
Cap Magellan : Penses-tu que c’est possible pour des non-lusophones de ressentir la saudade même sans connaître le mot ?
L’Empreinte Jo V : Je pense que les lusophones l’ont en eux sans le savoir. Pour que les Français comprennent, en général je leur donne un exemple tout bête : la saudade peut être leur grand-mère qui leur faisait à manger lorsqu’il était petit, plus tard ils vont sentir une odeur qui va leur rappeler ce souvenir. C’est ça la saudade. Cela peut être positif ou négatif, mais cela nous donne des frissons ! Je pense que c’est possible, mais nous ne l’expliquons peut-être pas de la même façon. Les Portugais l’ont en eux depuis petits, notamment par le fado, les traditions, le fait d’aller au Portugal tous les ans…
Cap Magellan : Toi tu es né en France donc, ce sont des parents qui ont émigré en France. Tu fais partie de la deuxième génération, mais tu es très attaché au Portugal. Comment l’expliques-tu ?
L’Empreinte Jo V : Je suis né en France, mais quand j’étais petit j’étais très malade. J’étais ce que l’on appelle un enfant bulle. Mes parents avaient déjà perdu un enfant et ils avaient peur d’en perdre un autre. J’étais très fragile en tant qu’enfant bulle et ils ont préféré me ramener au Portugal en se disant que s’il doit arriver quelque chose, autant que ce soit la-bas. Ils m’ont emmené chez mes grands-parents et au bout de quelques mois j’allais mieux ! Ils se sont dits à contre cœur qu’il fallait me laisser au Portugal. Ils sont partis et je suis resté un an chez mes grands-parents. J’ai vécu comme le nom d’une de mes œuvres : L’enfant roi. Je faisais ce que je voulais, je n’avais pas d’école, j’étais toujours avec mes grands-parents, ils me laissaient tout faire… Je pense que mon attachement au Portugal vient de cette période. Lorsque mes parents sont revenus, ils ont découvert que j’étais devenu trop colérique, trop enfant roi et ils m’ont ramené en France. Cela a été un changement brutal, mais j’ai toujours eu un lien très fort avec le Portugal puisque j’y retournais tous les ans.
Cap Magellan : Dans ton exposition, tu parles vraiment du Portugal et de ton histoire. Qu’aimerais-tu que les gens en tirent ? Quel est l’intérêt de venir voir tes œuvres ?
L’Empreinte Jo V : Pour ceux qui me connaissaient déjà, j’ai fait quelque chose de différent. Il y a d’autres couleurs, d’autres émotions. Pour les Portugais qui sont venus, ils ont ressenti le Portugal. Cela leur a rappelé des souvenirs, des couleurs, des émotions, des mots… Beaucoup des titres des œuvres étaient en portugais, ce qui permet de rappeler des souvenirs également. Certains avaient les yeux brillants. Pour ceux qui n’ont pas pu aller au Portugal cette année, ils m’ont remercié en me disant que cela leur avait rappelé leur pays. Pour ceux qui avaient d’autres origines et qui ne connaissaient pas encore le Portugal, ils ont découvert un univers qui leur a donné envie. Ben de la galerie jouait vraiment le jeu en mettant du fado et de la musique portugaise, ce qui permettait de rentrer pleinement dans l’univers. J’ai eu beaucoup de retours positifs. Plusieurs personnes se sont imaginés à la place de mes parents par exemple, en se demandant comment ils auraient vécu les choses, le fait de traverser un pays à pied, illégalement, en risquant de se faire attraper par la police, l’armée, la PIDE… Le courage qu’ils ont eu les impressionnent. Cela permet de faire découvrir le pays à ceux qui ne le connaissaient pas et de donner envie à ceux qui le connaissent de découvrir autre chose que l’Algarve ou Lisbonne.
Cap Magellan : Tu fais partie de la deuxième génération, mais tu as tout de même souhaité représenter la troisième. En quoi c’est important de montrer toutes les générations et tout l’historique de l’émigration ?
L’Empreinte Jo V : Aujourd’hui, les villages au Portugal se vident. Je suis la deuxième génération, la troisième ont une vingtaine d’années. Beaucoup ne parlent pas portugais, ou plus ou moins. J’ai voulu représenter une génération plus moderne. On retrouve des femmes tatouées, avec des piercings, rasées, etc. C’est la génération du futur qui, peut-être un jour, souhaitera retourner là-bas, qui repeuplera peut-être les villages abandonnés. C’est ce que j’espère et c’est un petit clin d’œil.
Cap Magellan : Tu as d’ailleurs peint sur les murs de ton village. Comment cela a été reçu ? C’est une fierté pour toi ?
L’Empreinte Jo V : Oui c’est une fierté, surtout pour mes parents ! A Trevões da Beira, mon village, qui fait partie de São João da Pesqueira, du district de Viseu, il y a beaucoup de maisons abandonnées. Il y en avait une à côté de l’église où je voulais faire une femme regardant vers le clocher. J’ai demandé l’autorisation et j’ai commencé à peindre. Au début, les gens me regardaient bizarrement, ils se demandaient ce que je faisais. Petit à petit, ceux qui passaient s’arrêtaient. A un moment, je me suis retourné et j’ai vu un petit groupe de mamies qui me regardaient. Elles ont regardé ce que je faisais pendant deux à trois heures. Finalement, ils étaient tous très contents et cela a beaucoup plu. Donc j’en ai fait une deuxième, puis une troisième. Cette année, j’y suis retourné le 25 avril. Sur la route de Trevões en direction de Castanheiro do Sul, j’ai fait une fresque sur le 25 avril sur une maison le jour-même. J’ai fait trois façades qui représentent cette date pour moi, avec trois générations : les grands-parents, la femme et les petits enfants. Je vous invite à aller la découvrir. J’ai peint d’autres fresques sur la place du village. J’ai eu du mal à trouver un mur et avoir des autorisations. J’ai fait une oeuvre qui s’appelle avozinha, c’est une femme en noir à l’ancienne. Les gens ont beaucoup aimé. Tout le monde était curieux de savoir si j’allais en faire d’autres, donc je l’ai fait. Il doit y en avoir à peu près une dizaine désormais. Cela redonne de la vie aux vieilles maisons, au village. L’idée était de redonner une attraction au village. Le curé m’a beaucoup aidé d’ailleurs. L’objectif désormais est de peindre os antigos qui vivaient dans ces maisons aujourd’hui abandonnées. Le problème est de trouver des photos ou des portraits d’eux. C’est pour ça que le curé m’aide. Mais en tout cas, tout le monde aime et beaucoup sont très émus !
Cap Magellan : Tu fais également de la photo, mais globalement, peu importe tes œuvres, on y retrouve des portraits et surtout des portraits de femmes. Pourquoi ?
L’Empreinte Jo V : Je ne sais pas. C’est simple sans l’être. Les hommes aussi peuvent transmettre des émotions, mais je peins à 80% des femmes. Je dirais qu’il y a 18% d’enfants et 1 ou 2% d’hommes dans mes oeuvres. C’est peut-être plus compliqué de représenter des hommes, peut-être que c’est parce que j’en suis un moi-même, je ne sais pas. Beaucoup ont cru au départ que j’étais une femme d’ailleurs. J’arrive plus facilement à transmettre de l’émotion par une femme ou un enfant que par un homme.
Cap Magellan : Juste à côté du LAVO//MATIK tu as fait une fresque qui va rester encore quelque temps. Elle représente deux personnes âgées, mais cette fois tu ne montres pas leur regard. Pourquoi ce choix ?
L’Empreinte Jo V : Je suis connu principalement par rapport à mes regards, effectivement. Lorsque Ben m’a dit qu’il y avait le mur à faire, je me suis dit que tout le monde s’attendait à un regard, donc je voulais faire quelque chose de différent. Je suis tombé il y a quelques années sur une œuvre d’un photographe allemand. C’est un vrai couple, de plus de cent ans, qui ont quatre-vingts ans de mariage. Dans cette œuvre, on voit une tendresse très particulière, une émotion différente de ce que l’on retrouve dans un regard. Tout d’abord ils sont deux, ils ne sont pas enlacés, ils ne s’embrassent pas, ils sont simplement collés l’un à l’autre et ils créent tout de même une émotion chez le spectateur. J’ai voulu essayer de la retranscrire. Lorsque j’ai commencé à peindre, les premiers passants s’arrêtaient et étaient émus, alors que je n’avais pas encore fini les visages ! J’ai réussi à retranscrire et transmettre une émotion magnifique à partir de cette photo. Mon objectif était de donner une émotion aux gens qui passent devant, qu’ils soient attendris et interpellés.
Cap Magellan : Où peut-on t’attendre pour la suite et que peut-on te souhaiter ?
L’Empreinte Jo V : Déjà du repos (rires). Pas beaucoup d’expositions ou alors seulement une ou deux œuvres par-ci par-là pour l’instant. Il y a un projet qui se passe dans un hôpital à Paris où je vais peut-être participer, j’attends la confirmation. C’est un projet caritatif pour les enfants malades, comme je l’ai été. L’idée est de peindre les couloirs de l’hôpital menant en salle d’opération. Nous sommes une centaine, plusieurs artistes ont déjà peint. J’attends la réponse, mais cela devrait se faire bientôt. Si cela intéresse les gens de voir ce qui a déjà été fait, l’hôpital Necker sera ouvert le week-end prochain (16 et 17 septembre) pour les journées du patrimoine. Peut-être que j’aurai déjà peint ou peut-être pas ! J’ai d’autres projets en tête, en rapport avec la femme, mais pour l’instant c’est encore loin. C’est très long d’avoir des autorisations. Il faut me suivre sur ma page pour voir les prochaines actualités !
Cap Magellan : C’est ce que nous allons faire ! Donc en gros nous te souhaitons de continuer à t’épanouir et d’avoir plein d’autorisations (rires) ! Me dernière question est ma marque de fabrique à moi : est-ce que tu aurais un message à passer aux jeunes lusodescendants ?
L’Empreinte Jo V : Simplement, n’oubliez pas de voir vos parents et vos grands-parents. Rappelez-vous qu’ils viennent de villages où il y avait mille habitants alors qu’aujourd’hui il n’y en a plus que cent, comme le mien. C’est important d’apprendre pour savoir d’où l’on vient.
Cap Magellan : Merci beaucoup ! J’espère que nous aurons l’occasion de nous revoir vite.
Nous vous invitons à suivre l’actualité de L’Empreinte Jo V, notamment sur Instagram @l_empreinte_jo_v (https://www.instagram.com/l_empreinte_jo_v/).
Interview réalisée par Julie Carvalho,
membre de l’équipe de Tempestade 2.1
et étudiante en M1 à l’ISMaPP.