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12 décembre 2025Jean-Daniel Senesi est un artiste français. Il y a plusieurs années, il a pris la décision de s’installer définitivement aux Açores. Son ami réalisateur Guy Baudon est venu le voir et a décidé de filmer son quotidien. Le film, Une force irrésistible, le retranscrit. Cap Magellan a souhaité en savoir plus.
Cap Magellan : Bonjour Jean-Daniel, j’espère que vous allez bien. Nous sommes ici pour parler du film Une force irrésistible, réalisé par Guy Baudon. Dans ce film documentaire, on suit votre vie aux Açores. Qu’est-ce qui a motivé votre départ pour l’archipel portugais ?
Jean-Daniel Senesi : Je ne connaissais pas du tout, ni le Portugal d’ailleurs. C’est un voyage par hasard en 2011 pour accompagner un ami. Quand je suis arrivé aux Açores, je me souviens très bien, je suis descendu de l’avion et j’ai eu la même sensation que sur mon île d’enfance, la Réunion : l’air chaud et humide qui vous accueille. Cela m’a fait un retour en arrière assez incroyable. A l’époque, je découvre des îles préservées, des gens qui sont dans une ruralité authentique et très accueillants, tellement gentils. Cela me rappelle mon autre île, la Corse, celle de mon père, parce que La Réunion est celle de ma mère. J’étais à la jonction de mes deux îles.
J’étais quasiment à la quarantaine. J’avais un métier d’artiste qui me passionnait. Je me suis demandé ce qui était vraiment important au fond : le travail ou un rêve d’enfance oublié ?
Aux Açores, nous sommes en Europe, il y a une espèce de stabilité possible alors qu’on est effectivement dans un petit lieu préservé au bout du monde. C’est ce qui m’a fait avoir un clic dans la tête. Je me suis posé la question du « être ou avoir », puis j’ai opté pour l’être.
J’ai mis 7 ans pour tourner les pages, prévenir, clôre les différents dossiers que j’avais, y compris des dossiers très importants au niveau du travail en France. Au bout de 7 ans, malgré ce que pensaient les amis ou la famille, j’ai écouté mon intuition et cela fait 7 ans que je suis aux Açores et je suis très heureux.
CM : Là-bas, vous vivez simplement, sans argent ou presque, en vivant de la générosité des gens et du troc, notamment en donnant des cours artistiques. Pourquoi avoir pris cette décision ? N’aviez-vous pas peur de manquer ?
Jean-Daniel Senesi : On rejoint je pense la question de l’être ou de l’avoir. Est-ce qu’effectivement, en misant plus sur le matériel, on est plus heureux ? Je crois qu’on a déjà plein d’enseignements divers et variés, qu’ils soient spirituels, religieux, ou même philosophiques, voire des sociologues ou anthropologues qui ont étudié ça et qui nous disent que non. En fait, c’est en privilégiant l’être qu’on va vers le bonheur.
Même si je suis artiste, je suis ingénieur de formation, donc je sais calculer. Je ne suis pas fou, j’ai les pieds sur terre, donc j’ai bien sûr tout mûrement pesé. Comme vous le savez, le niveau de vie est différent au Portugal. J’avais également ce rêve de pouvoir vivre de façon autonome. A partir du moment où la pression et la peur diminuent, on retrouve la liberté de penser et de s’aligner par rapport à ce qu’on veut. Quand le focus sur l’avoir, sur le matériel, diminue, non seulement l’être apparaît naturellement, mais surtout, on devient plus apte à la coopération. La force irrésistible, qui est le titre du film, c’est la force de la coopération. Naturellement, des liens se tissent avec mes voisins, mes amis, il y a de la coopération, de l’aide, etc. Au sein de la coopération, ma monnaie d’échange était ce qui me représentait. Pour eux, je suis l’étranger qui débarque, qu’ils ont adopté très vite, tout de suite, avec une générosité incroyable, mais effectivement j’ai plein de connaissances qu’eux n’ont pas. Ils ne sont même pas curieux, peut-être à la base, parce que c’est tellement loin de leur monde qu’ils n’ont même pas de curiosité. J’ai mis un prix à un euro symbolique sur tout ce que je propose, c’est-à-dire des cours de chant, de danse, de claquettes, d’art martial, de yoga, etc. Mais en plus, comme je me suis intégré à leur culture, maintenant, je propose des cours de leur danse traditionnelle. Je contribue donc aussi à enseigner la tradition, sauf que là, évidemment, vu que je l’ai prise sur place, la tradition, je l’enseigne gratuitement.
CM : Lorsque vous avez décidé de partir pour les Açores, l’idée du film était-elle déjà dans votre tête ou est-elle arrivée plus tard ?
Jean-Daniel Senesi : Elle n’était pas du tout dans ma tête. Moi, je suis parti pour vivre, pour être, donc je n’avais pas de plan. En fait, c’est Guy Baudon, le réalisateur, qui me connaît, qui avait fait un autre film juste avant, sur la coopération justement. Il a souhaité me rendre visite, mais il est venu avec sa caméra. Il m’explique un peu son idée de faire un diptyque, un deuxième volet à ce travail de la coopération. Au départ je dis non, je n’en ai pas envie. Mais c’est un très bon ami, donc on en parle. Il me montre quelques images qu’il avait commencé à tourner, qui n’aboutissaient pas. Ce n’était pas ce qu’il voulait, il voulait du terrain. Il m’a dit que je n’avais rien à faire, qu’il se mettrait derrière moi et filmerait. J’ai fini par accepter. Etant artiste, ayant travaillé aussi dans l’audiovisuel et un peu dans les films, il attendait de moi qu’on ait un ping-pong et que, par l’échange d’idées, que je fasse évoluer. Du coup, le projet a un petit peu évolué et, finalement, c’était une évidence qu’il fallait qu’on y aille. Donc, il a commencé à filmer. Moi-même, mon cerveau d’artiste commençait à cadrer. Moi-même, je commençais à voir la réalité comme il allait la voir.
CM : Le film est auto-financé. Pourquoi ?
Jean-Daniel Senesi : Guy est habitué à ne pas forcément avoir des financements pour ses films. Des fois, le financement vient après coup. Après coup, nous avons fait une demande de participation. Contrairement aux projets précédents, les gens ont beaucoup moins donné. Pour la version portugaise du film que nous devions financer, nous avons réussi à gagner 2 000 euros en 12 mois.
Le film dure 1h20. Imaginez les dizaines et dizaines d’heures de rush pour arriver à 1h20 après montage. Ce film, nous l’avons estimé à environ 35 000 euros. Il faut compter les voyages, la nourriture, le tournage, le matériel, le temps passé au montage qui constitue des mois et des mois à dérusher et à monter. Nous n’avons pas eu besoin d’argent directement, il est arrivé petit à petit. C’est une grande liberté. On a eu une petite subvention après. Soyons transparents sur les chiffres parce que c’est très intéressant. On a eu 1 156 euros de la direction régionale de la culture des Açores, à peu près 2 000 euros de financement grâce aux gens.
Nous avons aussi vendu des croissants : on s’est appelé le groupe croissant, ici aux Açores, on a vendu des gâteaux, moi j’ai fait des croissants, des pains au chocolat, des trucs qu’ils ne connaissent pas, qu’ils voulaient découvrir. Tout le monde s’y est mis, on était à peu près une dizaine de membres actifs. En vendant des gâteaux, pendant un an, tous les dimanches, et en faisant quelques dîners où moi je chantais, les musiciens du film venaient faire de la musique, les gens venaient payer, mais ils avaient un repas génial, ils avaient l’animation musicale incluse. Nous avons réussi à gagner 12 000 euros comme ça. La solidarité des gens est plus forte. La mairie a donné 900 euros. Ce sont des sommes ridicules, mais petit à petit, on a réussi à financer.
L’actualité que le film a encore, c’est qu’il a été acheté par France 3 Corse, donc télévision publique française. Attention, la télévision publique, ce n’est pas ce que l’on pense au niveau des financements. Ce sont des prix ridiculement bas. Pour un documentaire de 1h20, le prix d’achat était peut-être de 1 000 ou 1 200 euros en 2017. Presque dix ans après, je crois que c’était 1300 ou 1500 euros. Ensuite, Guy va commencer à toucher de l’argent un petit peu, en droit d’auteur, quand le film va vraiment être diffusé sur France 3.
Ne pas avoir de financement public ou institutionnel, c’est une très grande liberté.
Cela a permis avant tout la grande liberté de faire ce qu’on voulait faire sans avoir de compte à rendre à personne.
CM : Début septembre, vous avez organisé un colloque à la Maison du Portugal en lien avec le film. Quel en était l’objectif et a-t-il été à la hauteur de vos attentes ?
Jean-Daniel Senesi : L’objectif est justement le désaccord initial entre Guy et moi. Au fond le colloque revenait sur ce qui nous avait quand même intéressé tous les deux, c’est-à-dire revenir à une parole plus explicite, qui pourrait venir un peu expliquer ce qu’on ne devine pas dans le film. Le film est déjà très riche, mais tout ce dont on parle, c’est encore la partie invisible de l’iceberg. C’est encore énorme. Du coup, on voulait que le colloque serve à ça. Mais surtout, on voulait que ce colloque ne soit pas un colloque intellectuel.
Lorsqu’on a contacté les gens, sans être personne, ils ont vu le film, ont adoré et ont souhaité nous aider. On leur a dit qu’on voulait un colloque sur les thèmes du film : coopération, tradition et modernité, modèle portugais. Un congrès ce sont des pairs qui se retrouvent entre eux et qui vont travailler une thématique. Chacun va présenter son travail, comme lui le voit, etc. puis ce sont des échanges. Ce colloque c’est différent, c’est démocratique et citoyen. On l’a appelé colloque d’initiative citoyenne.
Dans les gens qui ont regardé le film, beaucoup ont voulu rencontrer d’autres gens qui l’ont vu, qui l’ont aimé, etc. En fait, ce film a créé une communauté tout de suite, de facto, sans que nous on ne fasse rien.
CM : Pour finir, quelle est votre conclusion sur le « modèle portugais » ?
Jean-Daniel Senesi : Moi, je suis français, français un peu atypique, issu de plusieurs cultures. En venant poser mes bagages ici au Portugal, aux Açores, j’ai vu de l’extérieur quelque chose qui est un peu unique, qui est assez précieux, et dont vous-même, les Portugais, n’avez pas conscience. Ce film, c’est aussi un pas de côté pour vous montrer ce que c’est que le modèle culturel portugais.
Il y a chez les Portugais un côté complexe d’infériorité. Selon moi, vous êtes le modèle du futur. Vous, en Europe, vous avez encore ce mélange entre tradition et modernité, dont il faut prendre conscience parce qu’il faut le préserver. Ce film et ce colloque c’est pour vous montrer ce que vous avez de formidable. Vous avez le vaccin de la modernité. Vous avez sécrété au long du temps et des siècles quelque chose comme un système immunitaire qui vous défend encore un peu contre cette déshumanisation. Votre rapport à l’aldeia, à la famille, à la religion, même si vous n’êtes pas religieux, tout ça, ce sont des ingrédients de tradition dont on a besoin pour sauver notre âme à nous, occidentaux, de manière générale. Pour moi, le message final, c’est « Viva Portugal! ».
Le modèle portugais, c’est de pouvoir être au top de la modernité tout en restant ancré dans ses racines.
CM : Merci beaucoup Jean-Daniel ! Longue vie à Une force irrésistible.
Nous vous invitons à regarder le film Une force irrésistible, mais aussi Entre les plis et Don Giovanni en Corse. Vous pouvez participer du Tipeee du film.
Pour voir le colloque d’initiative citoyenne, voici les différents liens par ordre chronologique :
Interview réalisée par Julie Carvalho,
Publié le 10/12/2025




