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Tout est prêt pour accueillir le divin enfant. Malheureusement, enceinte de sept mois, Joana perd un jour les eaux et survient alors l’impensable, l’insoutenable : l’enfant meurt avant de naître. Commence alors une rapide descente aux enfers à l’hôpital pour cette jeune femme refusant l’indicible vérité. On se plonge dans le flux de conscience fébrile, entre la dure réalité clinique et des délires hallucinatoires, entre le déni et la cruelle évidence, d’une mère qui n’est plus, d’un être à la dérive qui se raccroche tant qu’elle peut à ce qu’elle porte encore dans son ventre.
Deuxième partie de la trilogie autour des « Paternités ratées », initiée par le remarquable Autisme sorti il y a deux ans, Les eaux de Joana est un livre qui marque au fer, un roman qu’on ne peut oublier une fois terminé, tant la douleur qui y est dépeinte est à vif. Car ce livre, que l’on lit d’une traite sans pouvoir reprendre son souffle, est une vertigineuse agonie vers la folie. Une véritable cartographie de la douleur et de la perte. De la première à la dernière page, le lecteur est soufflé par la puissance émotionnelle de ce récit de deuil. Car c’est bien de deuil dont il s’agit, avec ses terribles étapes, tel un chemin de croix où Joana, en mater dolorosa, devra se confronter et faire face à ce qu’elle ne peut concevoir. Telle Alice perdue dans le terrier du Lapin Blanc, elle s’engouffre dans un tourbillon tant désespéré qu’hystérique, où elle risque de tout (et de se) perdre.
Valério Romão n’a pas peur d’affronter les non-dits, les tabous. Après la destruction du couple face à l’autisme de leur enfant, l’auteur portugais traite d’un sujet encore plus intime : la maternité. Dans une narration fluide et maîtrisée à la virgule près, il se risque à parler de ce qui ne se dit pas : quand la maternité tourne au désastre, quand le miracle de la vie devient un cauchemar éveillé. Sans concession ni pathos larmoyants, Romão livre un éprouvant mais remarquable tableau de notre contemporanéité, disséquant nos angoisses modernes les plus sombres, les plus cachées, les plus enfouies pour mieux révéler la douloureuse expérience qu’est être humain. Rien n’est laissé de côté, tout est crûment révélé à l’instar de cet hôpital aseptisé (que l’on retrouvait également dans Autisme) et ultra-néonisé où tout se joue et tout se détruit. Avec ce nouveau roman, Romão confirme qu’il est l’un des auteurs les plus étonnants et fascinants actuellement au Portugal.
Les eaux de Joana, Valério Romão,
traduction de João Viegas, éditions Chandeigne
Ana Torres
Paru dans le CAPMag de septembre 2019
capmag@capmagellan.org