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6 janvier 2023L’annonce, le 28 décembre dernier du décès de la chanteuse franco-portugaise Linda de Suza, a réveillé aujourd’hui des souvenirs divers selon les histoires de chacun de nous et selon les générations auxquelles nous nous identifions.
En cela, l’histoire de Linda de Suza ne se réduit nullement à une « success story » pour les nostalgiques d’une « immigration heureuse » comme quelqu’un l’a écrit sur Twitter, ce temps où « il n’y avait pas de communautarisme ».
D’abord parce que la vie de cette chanteuse est aussi une vie de spoliations qu’elle a subies de la part des requins qui existent dans le monde du show business, mais aussi et surtout parce qu’on a peu connu ou un peu oublié ce que fut l’histoire de l’immigration ibérique en général, et portugaise en particulier, en France. Et comment le Portugal ne fut pas toujours l’enfant chéri de l’Europe en général et des Français en particulier.
Si on avait imaginé que Lisbonne et l’Algarve seraient des destinations chics, très prisées des Français à partir des années 2000, peu l’auraient cru !
Comme me l’a expliqué un ami, député socialiste des portugais de l’étranger : « On ne s’imagine pas facilement passer des vacances dans le pays de sa concierge ».
Sous la chape de plomb du régiment national catholique de Salazar, la plus longue dictature d’Europe occidentale, le Portugal n’est plus le riche empire qu’il fut jadis. Les Portugais de métropole ne tirent pas tous profit de l’exploitation des ressources des colonies d’Afrique sauf à y partir et faire carrière ou des affaires au Mozambique, en Angola, au Cap-Vert, en Guinée Bissau ou bien à São Tomé.
L’autre option, moins glorieuse consiste à combattre – ou plutôt se salir les mains – de la pire des manières dans les guerres coloniales, ce qui sera une des causes de la chute du régime.
Au Portugal, une émigration politique et économique
Le Portugal en réalité est, dans ces années de l’Estado novo, un pays pauvre et sous développé ce qui explique beaucoup l’importance des vagues migratoires : émigration politique pour une partie mais aussi économique, ou plutôt le renforcement d’une émigration de travail qui a débuté dès avant la Première guerre mondiale, qui, elle-même fut l’occasion pour des Portugais de combattre dans les rangs de l’armée française.
La vie de Linda de Suza, femme née de mère inconnue, mal aimée par ses parents, fille mère dans un milieu catholique, à qui la vie n’aura donné que le courage et une voix, n’est pas différente de ces milliers d’hommes et de femmes que les clichés ont durablement assigné à des métiers comme maçons, peintres en bâtiment, femmes de ménage ou concierge.
Ce qu’on a appelé les Trente Glorieuses et qui demeure dans la mémoire de beaucoup de Français comme une période de prospérité ne le fut pas pour tout le monde. On connaît les bidonvilles dans lesquelles des familles nord-africaines s’entassaient dans la banlieue parisienne, mais il y eut aussi des bidonvilles où « vécurent » des familles portugaises comme à Champigny à quelques kilomètres de Paris.
Parler des Portugais en France à l’époque c’est parler d’immigration clandestine, de pauvreté, de xénophobie subie.
Coluche qui savait moquer sans concession les travers égoïstes du « Français moyen » parlait dans un célèbre sketch de « ces Portugais qui viennent ôter le pain de la bouche à nos Arabes », façon de dire que le fait d’être Blancs, européens et de culture catholique ne les préservaient de rien.
Outre les émigrés venus chercher du travail ou une vie meilleure, il y avait évidemment des exilés politiques : intellectuels, militants parmi lesquels par exemple le poète Manuel Alegre ou Mário Soares. Ce dernier, acteur majeur de la refondation du Parti socialiste portugais, enseignait à l’université de Vincennes. Ses étudiants constatèrent son absence et quelques jours plus tard, ils apprirent que leur professeur avait contribué au succès d’une Révolution dans un pays dont il deviendrait le Président.
Soares engagea très vite le Portugal sur deux voies : la décolonisation et la marche vers l’adhésion à ce qui était avant notre Union européenne, la Communauté économique européenne, mais pour des hommes comme lui, ses contemporains comme François Mitterrand, Felipe Gonzalez, les deux Helmut – Brandt et Schmidt – Andréas Papandréou, la destinée européenne ne se limite pas au marché, c’est une communauté de destin pour le renforcement de la paix et de la démocratie en mettant en commun ce qui permet aux peuples de vivre mieux les uns avec les autres plutôt que les uns aux dépens des autres…
Le chemin vers l’adhésion ne fut pas un parcours de santé. Le patronat portugais est alors majoritairement contre alors que la CEE est le principal partenaire économique du pays.
Les milieux agricoles, viticoles ou encore le secteur de la pêche dans le sud de la France sont alors réticents à l’entrée de l’Espagne et du Portugal.
Quand une partie de la classe politique française rejetait l’élargissement de la CEE
Lors du débat parlementaire, les communistes par la voix de Robert Montdargent, député maire d’Argenteuil dans le Val d’Oise, s’oppose à cet élargissement tout en revendiquant le soutien des communistes à ceux des Espagnols et des Portugais qui s’étaient opposés à la dictature. Il parle alors de « graves bouleversements que l’on tente d’imposer aux pays européens, en particulier à la France ».
Jacques Chirac, leader de l’opposition, annonce qu’il renégociera le traité d’adhésion s’il est en position pour le faire, jugeant l’entrée du Portugal – alors dirigé par un gouvernement de centre droit – contraire aux intérêts de la France.
Depuis, les choses ont bien changé. Le Portugal a cessé d’être la cible de clichés et d’un chauvinisme d’un autre temps, jusqu’à la crise financière de 2008-2009 durant laquelle, le « P » du sobriquet « PIGS » par lequel une certaine presse néo-libérale moquait les difficultés des pays d’Europe du sud (Portugal, Italie, Grèce, Espagne) considérés comme des économies faibles…
L’union européenne a souvent vu lors de ses élargissements une hostilité mâtinée de xénophobie et de clichés. Lorsqu’il est question de divergences de vues avec l’Allemagne, qui n’a pas lu ou entendu des propos germanophobes ? Et que dire de la façon dont certains appréhendent les pays d’Europe centrale ou orientale ?
On est toujours l’étranger de quelqu’un. Se souvenir de Linda de Suza est indissociable de ce que les émigrés portugais ont connu comme difficultés.
Le Portugal, ce petit pays de l’Union européenne a fait une grande démonstration de sa capacité d’adaptation, un pays où l’extrême droite demeure encore groupusculaire, où la gauche se rassemble suffisamment longtemps pour qu’un gouvernement progressiste puisse sortir les Portugais de l’austérité…Pour avoir une Europe plus forte, il faut des Européens plus solidaires. Cela se passe bien sûr au niveau des gouvernements, mais aussi au niveau de celles et ceux qui « font » l’opinion.
auteur :Pierre Kanuty
Source : https://www.sauvonsleurope.eu/linda-de-suza-une-histoire-europeenne/
Photo : Photo archives Le Progrès – Yannick VERNAY https://www.bienpublic.com/edition-la-plaine-la-saone/2018/05/04/linda-de-suza-chantera-au-palatino-ce-vendredi