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1 février 2024Le 8 février 2023, Theresa Fernandes a publié son premier roman, Le Mariage maya. Elle y explore le thème de l’emprise amoureuse et entraîne le lecteur dans les arcanes du chamanisme. C’est après une carrière de réalisatrice de court-métrages qu’elle se tourne vers l’écriture littéraire. Elle nous a offert une interview exclusive.
Cap Magellan : Comment s’est passée la promotion de ton livre Le Mariage maya ? Es-tu satisfaite des retours ?
Theresa Fernandes : Oui très satisfaite. Avant la sortie du livre, les professionnels vous parlent de la qualité du manuscrit, mais tant qu’il n’y a pas de lecteurs, d’inconnus qui reviennent vers vous et qui vous disent que c’est bien, nous ne sommes jamais sûrs de nous. Désormais, j’ai dépassé le cercle de la famille, des amis, des relations, j’ai des lecteurs que je ne connais pas, qui me félicitent et me font des compliments, qui aiment sincèrement le livre qui le trouvent original etc. Je suis très contente. C’est un premier roman, ce n’est pas du tout évident d’écrire de la littérature, de trouver un style. J’ai commencé ce texte en 2016, je l’avais quasiment terminé avant le confinement, mais la gravité de ce que nous vivions à l’époque, m’a complètement détournée de l’écriture. Contrairement à tous ceux qui se sont mis à écrire pendant cette période, je me suis sentie incapable de le faire. Je ne l’ai repris qu’en 2021. Et puis, j’ai failli arrêter, mais comme j’écris avec un groupe d’écrivains qui m’a encouragée et poussée, j’ai réussi à terminer ce livre. Je leur en suis extrêmement reconnaissante.
Cap Magellan : Tu as également connu un certain succès auprès de la communauté lusophone notamment auprès d’un article (sur Facebook) dont tu m’as parlé, écrit en portugais.
Theresa Fernandes : Oui, il s’agit d’un article de António Simões do Paço, très élogieux, qui recommande mon livre. Je suis très touchée. J’attends de voir comment le livre sera reçu ici pour pouvoir éventuellement le faire connaître au Portugal et trouver un éditeur portugais. Donc, oui, avoir un retour de quelqu’un sur place est très satisfaisant.
Cap Magellan : Tu as donc la volonté quand même de l’amener au Portugal, de le traduire. Tu l’as eu dès le début ? Dès la publication ?
Theresa Fernandes : Non. Avant ce roman, je fonctionnais d’une autre manière. Je me concentrais sur le résultat, le but, que je voulais atteindre, et moins sur ce que je faisais au jour le jour. Désormais, je procède par étape. Chaque chose en son temps. Peut-être que dans quelques mois, j’envisagerai une démarche au Portugal. Pour l’instant, je poursuis la promotion du livre avec son lot de rencontres. Si je reviens sur la genèse de ce texte, tout est parti d’un atelier de découverte de l’écriture. Pendant cet atelier j’ai écrit ce qui est devenu par la suite l’épilogue. C’est à partir de ces quelques mots jetés sur une feuille que le livre a surgi. Mais même en 2020, je n’étais pas sûre de terminer ce roman, de le publier, etc. Loin de moi l’idée de penser à le traduire en portugais ou dans une autre langue ! J’avance au rythme de ce qui se présente.
Cap Magellan : Comment as-tu trouvé l’histoire que tu voulais raconter ? Pourquoi une manipulation amoureuse et une histoire aussi tragique amoureusement ? Est-ce-que s’est inspiré de ta vie ?
Theresa Fernandes : J’écris toujours à partir de mon expérience et de mon vécu. Tout ce que j’ai fait jusqu’à présent, s’inspire de moi ou de quelque chose que je connais, de près ou de loin. Il y a évidemment du vécu. J’ai été confrontée à une forme de manipulation que j’ai poussée à l’extrême pour servir l’intrigue, pour autant ce livre n’est pas autobiographique. Les voyages je les ai faits : New York j’y ai habité, j’ai voyagé au Mexique, j’ai côtoyé des chamans. Souvent, dans les retours que j’ai, on me dit que mon livre est très précis et très juste sur le comportement toxique de ces hommes qui finissent par avoir l’ascendant sur certaines femmes. Ils sont, au début, dans un rapport très séducteur, puis au fur et à mesure, ils changent, ils humilient, culpabilisent, et finissent par manipuler les femmes en les contrôlant de cette manière. L’emprise s’installe, elle a des conséquences parfois dramatiques avec une déchéance morale, mais je n’ai pas voulu que mon héroïne atteigne ce stade.
Cap Magellan : C’est aussi un thème très actuel. Est-ce que c’est aussi une volonté ou le fruit du hasard ?
Theresa Fernandes : C’est un sujet qui me tient à cœur depuis très longtemps. Le hasard a fait qu’il est devenu un phénomène de société. Comme je le disais précédemment, cela a démarré avec un texte qui constitue aujourd’hui l’épilogue, l’histoire est née de ce travail d’écriture quotidien. Aujourd’hui, il s’avère qu’on parle beaucoup des manipulateurs, des pervers narcissiques. Mon constat est que beaucoup d’hommes en parlent, écrivent sur le sujet, comme Éric Reinhardt par exemple. A l’évidence, mon approche est celle d’une femme. Cela fait aussi partie des retours que j’ai. Une écriture « très féminine », pour reprendre le commentaire d’un lecteur, avec un point de vue féminin sur l’emprise. J’ai fait des choix très particuliers dans ce roman pour montrer les mécanismes qui se mettent en place le plus justement possible, j’écris comme si j’étais « caméra à l’épaule » derrière mon héroïne. Je pense que notre sensibilité diffère et se ressent dans notre style.
Cap Magellan : Comme je disais tu as eu de nombreux retours de la communauté lusophone. Est-ce que c’est important pour toi de toucher cette communauté ?
Theresa Fernandes : Bien sûr. D’abord parce que je suis portugaise et parce que la communauté portugaise est pour moi la communauté du cœur. Forcément, lorsque la communauté du cœur me félicite, m’encourage ou me soutient, je ne peux qu’être fière.
Cap Magellan : Comme tu le disais, tu es aussi portugaise. Comment te sens-tu par rapport à cette double culture ? Est-ce que cela a été dur de grandir avec ?
Theresa Fernandes : Le prénom que je me suis « donné » raconte cette histoire de double identité. J’écris « Theresa » aujourd’hui avec un « h ». Quand je suis née en France, la mairie a francisé mon nom. Sur tous mes documents officiels j’ai le prénom « Thérèse ». Mon père a naturellement déclaré ma naissance au consulat portugais. Sur mes documents portugais, je m’appelle « Teresa » sans « h » j’ai également le nom de ma mère puisqu’au Portugal les enfants portent aussi le nom de leur mère. J’ai signé mon premier court-métrage « Thérèse », mon deuxième « Teresa », puis les suivants « Theresa » avec un « h » et enfin ce livre. J’ai pris conscience que je n’étais pas que « Teresa » et pas que « Thérèse ». J’avais le sentiment qu’en choisissant l’un au détriment de l’autre, je m’amputais d’une partie de moi.
Cap Magellan : Ta double identité se matérialise dans ton prénom et dans le fait que tu aies une identité au Portugal et une autre en France. Et d’où viens-tu au Portugal ?
Theresa Fernandes : Mes parents sont de Pousafoles do Bispo, un village près de Sabugal, qui est à côté de Guarda, la grande ville de la Beira Alta. C’est le village de ma famille.
Cap Magellan : Et ce sont tes grands-parents qui ont immigré ?
Theresa Fernandes : Oui, et non. Cette génération de Portugais a beaucoup émigré vers l’Amérique latine et l’Europe. Il y en a beaucoup qui sont venus en France mais pas seulement. Mais à l’inverse de la génération de mes parents, ils sont retournés vivre au Portugal. Mes deux grands-pères sont venus au début du siècle dernier. Mon grand-père paternel, dans les années 30. Il est resté quelques années, entre 3 et 5 ans, je n’ai pas la durée précise, mais j’ai retrouvé son passeport ! Quant à mon grand-père maternel, il est resté 5 ans dans les années 20. C’était une génération qui ne s’installait pas. Ils partaient pour constituer un petit pécule et rentrer au pays. Ensuite, il y a eu la génération de mes parents qui, elle, est venue dans les années 60. Je pense qu’au début ils voulaient faire comme leurs parents : ils pensaient rester quelques années et repartir. En l’occurrence, pour mes parents, comme pour beaucoup d’autres, ces quelques années se sont transformées en une vie.
Cap Magellan : Est-ce-que tu as grandi avec l’idée de retourner au Portugal ?
Theresa Fernandes : J’ai une relation très particulière avec la France, le Portugal et les Etats-Unis où j’ai vécu et que j’adore. Aujourd’hui, je commence à me projeter au Portugal, je me verrais bien vivre à Lisbonne. Je m’y sens bien. Les gens sont gais, souriants, faciles à vivre, la vie y est douce.
Cap Magellan : Tu as vécu aux Etats-Unis, pourquoi ?
Theresa Fernandes : Ma première motivation était l’amour… Je suis partie pour vivre avec l’homme que j’avais rencontré. Nous habitions New York. Je suis rentrée lorsque je suis tombée enceinte pour pouvoir accoucher en France. La vie est extraordinaire là-bas ! J’ai fait du théâtre étant jeune entre l’âge de 12 et 20 ans, puis j’ai abandonné la comédie pour raconter des « histoires ». A l’époque c’était derrière la caméra. Aux Etats-Unis, j’ai fait comme tous les immigrés : j’ai travaillé dans la restauration. Il s’agissait d’un restaurant portugais qui s’appelait Pão. Un soir, le barman habituel était absent, une femme le remplaçait, Denise. Elle m’a demandé si ça m’intéressait de travailler avec elle au théâtre sans me connaître, ils cherchaient quelqu’un. J’ai répondu sans hésiter « oui bien sûr ! » . C’est ainsi que je suis rentrée à La MaMa theater où j’ai connu Ellen Stewart, qui est décédée depuis. Une grande dame du théâtre, internationalement connue. J’ai toujours eu une grande admiration pour cette femme. C’est un théâtre off off broadway de New York où beaucoup d’acteurs ont fait leurs débuts. Toute une génération est passée par ce lieu qui est devenu mythique. Patti Smith, Sam Shepard, Harvey Keitel et tant d’autres encore. Cet endroit a représenté une expérience unique pour moi, j’ai eu l’occasion d’assister à des spectacles que je n’aurais pas vus autrement, de côtoyer des artistes, Ellen bien sûr. C’était assez unique. J’avais déjà écrit et réalisé mon premier court-métrage avant de m’installer à New York. Avec du recul, ce qui me semble étonnant, c’est d’avoir quitté un milieu, le théâtre, et de me retrouver plongée à nouveau à des milliers de kilomètres dans cet univers. Je me suis dit : « La vie réserve toujours des surprises. Je traverse l’Atlantique, je me retrouve où ? Dans un théâtre ». De retour à Paris, l’année suivante, je suis allée au Festival de Cannes. J’avais un scénario de court-métrage que je cherchais à produire. J’ai fait la connaissance de Paulo Branco, un des plus grands producteurs portugais de notre époque. Il a produit à ce jour plus de 300 films, ce qui est colossal. Il m’a donné sa carte de visite en me proposant de passer le voir à Paris dans ses bureaux, ce que j’ai fait. Il a eu la gentillesse de m’accueillir, de m’écouter, il m’a expliqué qu’il ne produisait pas de courts-métrages, mais m’a donné des pistes, qui n’ont pas abouties. Alors, je suis retournée le voir, et il a décidé de produire mon court-métrage. Je n’en revenais pas.
Cap Magellan : Tu es réalisatrice. Où peut-on voir tes films ?
Theresa Fernandes : Je ne les ai pas « encore » mis sur internet. Mon premier court-métrage Une scène dangereuse est sur VHS. Il avait été tourné en vidéo, le film a vieilli, la qualité n’est pas très bonne. Par contre, le court-métrage produit par Paulo Branco, Un silence blanc, tourné en 35mm, est sur DVD. On me pose souvent la question, « pourquoi tu ne le mets pas en ligne ? ». Jusqu’à présent j’étais plongée dans l’écriture de ce roman, maintenant la promotion. Je ne voulais pas me mettre à créer un site pour montrer mon travail. C’est une autre énergie, je voulais me consacrer entièrement au livre.
Cap Magellan : Tes films n’ont rien à voir avec la lusophonie. C’était un choix ?
Theresa Fernandes : Non. Ce n’est pas réfléchi. J’écris ce qui m’inspire, ce qui me fait vibrer, et qui me parle. Souvent ce qui m’habite. Il y aura peut-être quelque chose en rapport avec mon histoire familiale. J’avoue que le sujet me travaille. On verra. Dans Le Mariage maya, il y a un petit clin d’œil au Portugal dans le 1er chapitre. Je laisse le soin aux lecteurs de le découvrir !
Cap Magellan : Initialement, c’est pour le producteur Paulo Branco que tu as écrit Le Mariage maya c’est bien cela ?
Theresa Fernandes : Ce n’est pas tout à fait exact. Après le court-métrage Un silence blanc que Paulo Branco a produit, je lui ai dit que je lui proposerais un scénario de long-métrage. Finalement, au lieu d’écrire un long-métrage, j’ai écrit un livre. A l’époque, il ne s’agissait pas de ce récit, mais d’une intrigue dans laquelle il y avait déjà le thème de l’emprise. Comme je l’ai mentionné plus tôt, c’est un sujet de longue date. Ce scénario était construit sur un aller-retour entre deux histoires d’amour vécues par une femme à des périodes différentes de sa vie. Une relation toxique et une relation « normale », si je puis dire. Je ne peux pas dire que j’ai écrit Le Mariage maya pour Paulo. Quand j’ai démarré, je ne savais même pas que ce serait un roman.
Cap Magellan : Quels sont tes prochains projets ? Est-ce que tu penses tout de même revenir au cinéma ?
Theresa Fernandes : Actuellement, je suis encore occupée par la promotion du livre. Il m’est difficile d’écrire autant que je le souhaiterais. Par moment, je me sens frustrée, parce que je suis très prise par la promotion sur Instagram. Les six premiers mois, il ne se passait pas grand-chose, au point de me dire que j’allais tout mettre de côté, puis tout à coup, des influenceurs m’ont contactée pour me proposer de chroniquer le livre. Je suis encore très sollicitée, je n’ai pas d’autre choix que de poursuivre cet accompagnement. Revenir au cinéma, oui bien sûr, avec un scénario du Mariage maya par exemple. J’aimerais beaucoup avoir un partenaire, travailler en binôme, quelqu’un avec qui je pourrais dialoguer sur la réalisation du film. Et pourquoi pas une adaptation au théâtre, le texte s’y prête.
Cap Magellan : Pour finir, la question par laquelle je clôture toutes mes interviews : est-ce-que tu as un message pour les jeunes lusodescendants ?
Theresa Fernandes : Soyez fiers. Portez fièrement les couleurs du Portugal. Avoir deux cultures, c’est être deux fois plus riches. C’est une ouverture d’esprit qui permet une ouverture plus grande sur le monde. Et puis, c’est important de savoir d’où l’on vient si on veut savoir où aller. Accepter, comprendre et assumer son histoire, c’est être bien dans sa peau. Lorsqu’on est bien, on ne peut que réussir !
Cap Magellan : Merci Theresa pour ce super moment ! Nous te souhaitons pleine réussite pour la suite.
Nous vous invitons à vous procurer Le Mariage maya. N’hésitez pas à nous faire vos retours, ainsi qu’à Theresa Fernandes. Vous pouvez la suivre sur Instagram.
Interview réalisée par Julie Carvalho, de Os Cadernos da Julie.
Transcription par Sophie Abreu.
Publié le 31/01/2024