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1 août 2025A partir du 12 septembre prochain, l’artiste Ana Isabel Freitas présente son exposition FIO : Le fil intangible – Geste, Trace, Mémoire à la galerie Mémoire de l’Avenir. C’est une artiste que Cap Magellan suit de près depuis près de 10 ans, donc nous avons voulu en savoir plus sur cette exposition.
Cap Magellan : Bonjour Ana Isabel, j’espère que tu vas bien. Tu exposes Fio – Le fil intangible, à la galerie parisienne Mémoire de l’Avenir à partir du 12 septembre. Depuis combien de temps travailles-tu sur ce projet ?
Ana Isabel Freitas : Je travaille sur ce projet depuis plus ou moins un an. J’ai retrouvé Margalit Berriet, qui est la curatrice de la galerie, grâce à l’artiste portugaise Romy Castro. J’ai fait la présentation du catalogue de son exposition à la Galerie Mémoire de l’Avenir dans le cadre de la Saison France-Portugal, ce qui m’a permis de rencontrer Margalit, la directrice du projet Mémoire de l’Avenir. Ensuite, l’été dernier, j’ai fait partie d’une exposition collective sur la fatigue, Jaillir de la fatigue – la fatigue collective. Nous avons commencé à discuter de ce que l’on pourrait faire ensemble, et à partir de cette connexion très humaine, nous avons commencé à créer Fio, à parler d’intangibilité, de mémoires, au pluriel. C’étaient d’excellentes retrouvailles pour moi, et aussi une opportunité de revoir et exposer mon travail d’une façon plus complète.
CM : C’est une exposition qui est en trois mouvements : Geste, Trace et Mémoire. Pourquoi ? Que représentent ces trois mouvements dans cette exposition ?
Ana Isabel Freitas : Ces trois mots sont à l’intérieur de toutes les parties du travail, même si nous pouvons les diviser.
Le geste est dans le corps, le geste est dans la main. Il y a des performances que je vais refaire, que j’avais créées pour mon projet final de peinture aux Beaux-Arts de Porto il y a plus de dix ans. Il y a ces gestes-là, les gestes du corps en performance, qui incarnent la peinture. Il y a le geste de la main, en faisant de la peinture, en faisant de la couture, parce que je travaille beaucoup avec les tissus, mais aussi en prenant une caméra en main pour le cinéma – je fais du cinéma documentaire. Il y a aussi le positionnement du corps avec la caméra. Donc il y a tous ces gestes, qui laissent des traces.
Ces traces peuvent être les matériaux eux-mêmes, les installations qui résultent des performances, des traces d’un crayon sur le papier, des traces des pinceaux dans la peinture, mais aussi des traces que des endroits laissent en nous et que nous laissons dans les lieux avec lesquels nous avons une connexion.
La mémoire est ce qui unit tout cela. Mon travail est très autobiographique – pas tant sur moi, mais sur tout ce qui entoure ma famille : la vallée du Douro – c’est la région de laquelle je viens – et les mémoires collectives, les mémoires transmises entre générations et aussi la mémoire du papier, quand on fait une trace qu’on essaie d’effacer, qui ne s’efface pas. Dans le corps : nos cicatrices, les rides qui commencent à apparaître.
C’est toujours circulaire. Ces trois mouvements sont là, ils sont distants, mais ils sont toujours en communication.
CM : Tu utilises différents médiums dans ton art : la peinture, le textile, les vidéos-performances et des installations. Pourquoi en utilises-tu autant ? Qu’est-ce qu’ils s’apportent les uns aux autres ?
Ana Isabel Freitas : Je ne sais pas trop pourquoi. Cela a toujours été ainsi. J’ai commencé à m’exprimer par le dessin et la peinture depuis très très jeune, aussi par le théâtre et par la chanson. J’ai toujours été intéressée par tout, mais avec mon parcours académique aux Beaux-Arts, j’ai pris cela un peu plus au sérieux et j’ai décidé de suivre ce chemin en tant que voie professionnelle. J’ai toujours choisi des options très très libres, que ce soit la vidéo, la peinture, la sculpture, le modelage, etc. Il y a plein de choses qui m’intéressaient.
Il y a une interview que j’ai faite à un moment avec Dalila Gonçalves, une artiste portugaise, qui utilise aussi beaucoup de médiums. Elle m’a libéré en me disant que ce qui importe c’est ce que nous voulons dire et pas comment nous le disons. L’important est de trouver le meilleur moyen pour nous de dire ce que nous souhaitons dire.
CM : Il y a un lien fort avec le Portugal, notamment avec les paysages du Douro. C’est important pour toi de ramener cela en France, à Paris ?
Ana Isabel Freitas : Ce n’est pas conceptuellement important, mais quand je suis arrivée à Paris en 2015, mon premier grand projet de peinture, quand j’étais en résidence artistique à la Cité Internationale Universitaire de Paris – j’habitais à la Maison du Portugal et j’avais un petit atelier – c’est le projet Pour Ma Terre Natale. Il y a quelques œuvres de ce projet qui seront dans l’exposition. Donc très naturellement, un peu sans réfléchir, la première chose que j’ai faite à Paris a été de peindre des paysages de chez moi, à partir des messages d’autres personnes qui, comme moi, venaient d’arriver à Paris et qui venaient d’un peu partout dans le monde. Chaque tableau a le nom d’une personne. J’ai trouvé cette connexion avec des personnes qui venaient du monde entier, qui étaient ici, mais j’ai eu ce besoin de peindre mes paysages – que je n’ai pas laissés derrière, mais qui étaient loin. C’est un peu inné et, vu que je travaille avec l’autobiographie, c’est normal.
CM : Tu es arrivée à Paris il y a 10 ans. Pourquoi as-tu voulu y rester après cette résidence à la Maison du Portugal ?
Ana Isabel Freitas : Paris est une ville qui est très attirante. Si l’on regarde du côté artistique, tous les concerts sont ici, on peut voir du théâtre, il y a plein de projets participatifs, donc il y a toujours de quoi faire – même un peu trop. En même temps, c’est une ville qui est un peu difficile aussi : la vie de tous les jours, le quotidien, les transports… Même si c’est une très belle ville, il y a du stress un peu partout ; je pense qu’on le sent dans les rues, dans les personnes, dans les respirations. C’est une ville qui a un peu changé ces dix dernières années. Il y a beaucoup plus de personnes dans la rue, il y a plein de changements sociaux qui ne vont pas exactement dans la bonne direction non plus.
Pour moi, c’est une ville un peu dichotomique. Il y a des moments où j’ai réfléchi à partir, mais il y a toujours eu un projet, une chose en plus, qui m’a amenée à rester. Aussi, j’ai trouvé un peu mes petits villages : artistiques, musicaux, humains. J’ai commencé à chanter du cante alentejano ici, donc j’ai retrouvé une région du Portugal en étant à Paris. J’ai fait un film sur le folklore portugais en région parisienne. Il y a toujours des projets qui m’amènent à y revenir. Il y a aussi l’université : je fais un doctorat à l’Université Paris Nanterre. J’ai aussi fait partie du groupe de théâtre Cá e Lá. De temps en temps, je suis comédienne, d’autres fois, je filme. Donc je pense que j’ai retrouvé tous ces petits villages qui me poussent à rester.
CM : Le vernissage de l’expo a lieu le 12 septembre, de 19h à 21h, et à 20h, il y aura une performance théâtrale de la compagnie Cá e Lá. Pourquoi était-ce important qu’ils se représentent le jour du vernissage de ton exposition ?
Ana Isabel Freitas : En dix ans, j’ai créé des connexions un peu partout. Je voulais souligner cela parce que c’est ma première exposition monographique. C’est un peu une petite rétrospective – pas seulement de mon travail artistique, mais de ma vie ici.
Pour le vernissage, ce ne sera pas exactement une pièce de théâtre, ce sera plutôt une performance. Pour ceux qui ont pu assister à l’édition de cette année des Parfums de Lisbonne, cela vient de la performance Artivismes, Artivismos. Il y aura aussi quelques connexions plus directes à l’exposition.
C’est dans les personnes, dans les groupes, dans les expériences vécues ici que j’ai grandi et que mon travail a évolué. Cela apporte beaucoup de choses à mon travail, donc cela a du sens pour moi. Quand je me présente, il faut présenter tout ce qui est un peu derrière.
CM : Le 11 septembre à 19h, il y a aussi une soirée privée – performance, happening. Qu’est-ce que c’est ?
Ana Isabel Freitas : Il y aura 10 à 15 places disponibles. C’est un nouveau format que je veux tester. C’est la seule chose qui est payante dans le cadre de cette exposition – tous les autres événements à la galerie sont ouverts et gratuits. Ce sera un moment durant lequel les personnes présentes vont participer à l’exposition, vraiment. Elles vont participer à des performances, dont les traces feront partie des installations de l’exposition. Les personnes qui viennent le 11 vont voir l’exposition presque finie, mais elles y laisseront leurs traces pour la compléter.
Je vais refaire, pour la première fois, les performances que j’avais créées pour mon projet final de peinture aux Beaux-Arts de Porto. C’est une réflexion autour du corps, de la vie et de la peinture. Cela travaille différentes notions : le fait de s’habiller, les couches en peinture, les superpositions… C’est un vrai happening, dont il ne restera que les traces laissées dans les installations et surtout ce qui restera dans la mémoire de chacun – parce qu’il ne s’agira pas seulement de voir, mais vraiment de participer.
C’est un format expérimental, pensé en collaboration avec Nuno Fidalgo. J’espère qu’il laissera une empreinte forte chez celles et ceux qui viendront et qui m’aideront, la veille du vernissage, à finaliser les préparatifs de l’exposition. C’est un acte participatif et collaboratif – une dimension très importante dans tout mon travail.
CM : Le 4 octobre, il y aura également des projections de deux de tes documentaires.
Ana Isabel Freitas : Cette petite aventure du documentaire a commencé en 2013 quand j’ai commencé mon master en cinéma à l’ESTC (École Supérieure de Théâtre et de Cinéma), à Lisbonne. Je suis un peu passée des Beaux-Arts au Cinéma parce que j’avais très envie d’aller plus loin : j’avais déjà fait de la vidéo, j’avais déjà fait de la vidéo-art, vidéo-performance. Lorsque j’ai commencé le cours, je ne savais pas si j’allais faire de la fiction ou du documentaire mais très tôt c’était très clair que je serais plutôt partie pour du documentaire. C’est du cinéma très sensoriel, très autobiographique.
Le 4 octobre, je vais présenter mon premier film Uma Vindima, qui est sur mes grands-parents. Sans savoir que je viendrais un jour à Paris et que je vivrais en France, il y a déjà une petite trace : mon grand-père est venu dans les années 60, tout seul. Il n’a jamais voulu ramener ma grand-mère et les dix enfants. Il y a une petite touche de migration et de connexion à la France dans le film. C’est intéressant de voir, rétrospectivement, que je refais un peu les pas de mon grand-père. En réalité le thème principal du film est les vignes, sur la vallée de Douro, sur une vie très différente de celle que nous vivons en ce moment, mais aussi sur le faire, avec les mains, sur la terre et sur la famille autour de la table.
C’était mon premier film. Le dernier est sur les 40 ans de la Compagnie Cá e Lá et je suis en train de le distribuer en ce moment.
Le deuxième film que je vais projeter – je ne l’ai jamais vraiment sorti parce qu’il est très personnel, mais j’ai décidé de le montrer dans cette exposition – c’est No Meu Tempo, O Casamento. Quelques mois avant mon mariage en 2021, j’ai demandé à mes deux grands-mères comment était le jour de leur mariage. C’est sur la transmission et la mémoire. Mes deux grands-mères à ce moment étaient déjà veuves, une depuis longtemps, parce que mon grand-père est décédé un mois avant que je naisse, et l’autre, il y a quelques mois. Il y a un côté très intime et personnel dans ce film. Je pense que c’est pour cela que je ne l’ai pas encore montré, mais je le montre là. Je pense que c’est un moment intime et intimiste.
C’est aussi pour cette raison que j’ai invité Sofia Costa et ses filles, Maria et Margarida. C’est quelqu’un que j’ai rencontré dans le folklore portugais à Paris pendant que je filmais mon long-métrage documentaire Lá em Baixo. Dans les interviews de femmes que j’ai faites, c’est celle qui m’a le plus touchée. Elle fait un énorme travail sur le chant à Capella. Elle a formé son propre groupe Em Canto de Levallois Perret. Ce que je lui ai proposé est un défi lié à sa connexion avec ses filles et la transmission, que je trouve très belle. Elle a deux filles très différentes et elle trouve une façon de leur transmettre des choses qui sont très à elle, très portugaises aussi, très musicales, tout en respectant les deux envies et les deux personnalités, mais en créant un ensemble avec elles.
J’ai donc voulu faire cette proposition à Sofia de venir chanter le 4 octobre. J’ai hâte de découvrir ce qu’elles sont en train de préparer.
CM : Une fois cette exposition terminée, à la mi-octobre, as-tu déjà des choses prévues ?
Ana Isabel Freitas : Pour l’année 2025-2026, mon objectif est de finalement finir ma thèse. Dès que je l’aurai terminée – elle porte sur mon documentaire sur le folklore – je pense que je le mettrai librement en ligne pour que tout le monde puisse le voir. C’est quelque chose dont j’ai hâte, mais je vais essayer de finir la thèse d’abord.
Je commence à faire la distribution de mon documentaire sur la compagnie Cá e Lá : Cá e Lá – 40 Ans sur Scène. Je l’ai envoyé à des festivals et je devrais recevoir les premières réponses en septembre-octobre. Je vais suivre ce film un petit peu, lui donner un peu d’attention, parce que je pense qu’il le mérite vraiment. C’est du théâtre engagé. C’est un film engagé.
CM : Pour finir, ma question signature : aurais-tu un message pour les jeunes lusodescendants ?
Ana Isabel Freitas : Ne vous créez pas de barrières. Faites ce que vous avez vraiment envie de faire.
CM : Merci Ana ! On se voit en septembre.
Nous vous invitons à consulter le site de la galerie pour ne rater aucun événement sur l’exposition.
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Interview réalisée par Julie Carvalho,




