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8 avril 2024C’est où chez moi ? est un roman portugais initialement publié en 2016. Désormais traduit en français, le livre de Jorge. A Rapazote est sorti le 11 décembre 2023, aux Editions Cadamoste. Cap Magellan a rencontré l’auteur et il nous a offert une interview exclusive.
Cap Magellan : Bonjour Jorge, j’espère que tu vas bien ! Le 11 décembre 2023 a été publié C’est où chez moi ? chez Cadamoste éditions, une traduction de ton premier roman Insustentável saudade. Dans cet ouvrage, il y a un mélange de fiction et d’autobiographie. Pourtant, le lecteur a vraiment la sensation de lire l’histoire de ta vie. C’était l’objectif ?
Jorge Afonso Rapazote : Très honnêtement oui. Le livre est à 60 ou 70% autobiographique, même s’il y a de la fiction. C’est principalement la partie sur l’école qui est autobiographique, la vie au collège, le racisme de quelques enseignants, camarades, etc. C’est ce que j’ai vécu. L’orientation vers la voie professionnelle à la fin de la 3e est également une réalité importante de l’époque.
Cap Magellan : Étonnamment et tristement, ce qui m’a surpris c’est que vous ayez eu des cours de portugais au collège.
Jorge Afonso Rapazote : J’ai eu beaucoup de chance à Bordeaux. Il n’y avait pas d’enseignement du portugais dans tous les quartiers de Bordeaux, mais j’ai eu la chance d’avoir eu des cours de portugais depuis le CE2. En primaire, c’était le samedi matin. Au collège, c’était notre première langue vivante (LV1). Nous avons eu beaucoup de chance ! Cela a été vraiment important pour moi. En retournant au Portugal après le collège, cela m’a aidé à m’adapter sans aucun problème, parce que je comprenais, je lisais, je parlais et j’écrivais le portugais bien mieux que le français. Une fois arrivé au Portugal, je n’ai jamais eu de problème à l’école !
Cap Magellan : Pourquoi avoir appelé le personnage principal José ?
Jorge Afonso Rapazote : C’est le nom le plus universel lorsque l’on pense aux émigrés portugais. C’est soit José, Antonio ou Manuel. Pour moi, José, avec Zé en surnom, c’est celui qui représente le mieux le Portugais typique, celui qui vient des villages, qui est simple, travailleur. C’est ce que je recherchais : un nom qui représentait la simplicité des émigrés portugais des années 80. José est le nom parfait.
Cap Magellan : Ce livre est sorti au Portugal il y a huit ans. Qui souhaitais-tu toucher ?
Jorge Afonso Rapazote : En écrivant le livre, je n’ai pas pensé à la France ni aux Portugais de France. Je voulais que l’histoire de ces fils d’immigrés, de la première génération des années 80, soit connue des Portugais du Portugal, qu’ils sachent comment cela s’est déroulé. Huit ans après, je peux te dire honnêtement que ces histoires d’immigration n’intéressent personne au Portugal. C’est dommage parce que tout le monde a quelqu’un de sa famille qui vit à l’étranger. Malgré cela, c’est une histoire qui ne les rend pas curieux. Je me suis rendue compte que la traduction en français était indispensable pour toucher tous les niveaux, les trois générations.
Cap Magellan : Comment as-tu rencontré Sandra Canivet Da Costa, de Cadamoste éditions ?
Jorge Afonso Rapazote : Je l’ai rencontré sur instagram ! Comme quoi les réseaux sociaux ont du bon ! Elle suivait quelqu’un que je suivais et qui a partagé l’un de ses contenus. J’ai trouvé génial de voir une éditrice française, d’origine portugaise, qui publie des livres sur l’histoire du Portugal, sur l’émigration. C’était parfait pour moi ! Je l’ai donc contactée et une demi-heure après nous étions déjà au téléphone. Je lui ai envoyé le texte, elle a adoré et la machine était lancée !
Cap Magellan : Sans spoiler, dans ce livre le lecteur est confronté à beaucoup de violence, de la violence physique et morale. Pourquoi l’inclure dans l’histoire ?
Jorge Afonso Rapazote : C’est quelque chose qu’il faut avoir le courage d’assumer et que la plupart d’entre nous, dans les années 80, ont vécu. Il ne faut pas oublier que nos parents sont nés durant la dictature qui a oppressé le pays durant plus de 40 ans. Ces gens étaient le produit d’un contexte politique et social et, qu’on le veuille ou non, même étant nés en France, ces enfants ont subi le résultat de cette dictature. Ils étaient éduqués à la dure. Bien sûr, ce n’était pas le cas de tout le monde, mais c’était très fréquent. Ce sont surtout des Portugais du nord du Portugal qui adoptaient ce type d’éducation. Eux-même ayant été éduqués ainsi, ils ont maintenu ce modèle. Les enfants en ont souffert. C’est important d’en parler, mais il faut du courage. D’ailleurs, cela s’inscrit dans les débuts des débats sur la maltraitance infantile du milieu des années 80. José pense que ces réflexions sont réservées à la haute société française.
Cap Magellan : Au-delà de la famille, un personnage important est Betty. C’était important pour José que quelqu’un contrebalance la maltraitance qu’il subissait ?
Jorge Afonso Rapazote: Betty était sa bouée, son seul port d’attache, la seule personne à qui il pouvait s’accrocher, se confier, etc. C’est un personnage qui lui permet de découvrir l’amour. Sans elle, il aurait peut-être fait une bêtise. Elle aussi est Portugaise, du nord, mais c’est l’opposé de José. Elle a reçu une éducation complètement différente : des parents qui dialoguent avec elle, qui la motivent, qui l’aiment et la soutiennent. Ils vivaient pour leur fille et son bien-être. Betty vit dans un confort total, elle est inondée de soleil. A l’inverse, José semble toujours avoir un nuage orageux sur lui.
Cap Magellan : Il faut tout de même prévenir les futurs lecteurs que certains passages sont assez durs.
Jorge Afonso Rapazote : Oui, il faut avoir l’estomac assez solide pour lire certains passages. C’est fait exprès. Je me suis rendu compte tout de même que la traduction française perdait l’impact de certains mots. En portugais, les mots sont plus forts et émouvants
Cap Magellan : Tu as sorti d’autres romans au Portugal avant cette traduction. Peux-tu nous en parler ?
Jorge Afonso Rapazote : Le deuxième s’appelle Filhos da Raia. Il parle sur le salto, avec l’arrivée de deux couples de Tras-os-Montes. C’est l’aventure de nos parents, de tes grands-parents. Il va être traduit cette année avec Cadamoste éditions ! Nous y travaillons. En 2022, j’ai publié un roman intitulé O sombra, qui traite de la guerre d’Angola. C’est encore un thème assez tabou au Portugal. C’est inspiré du parcours de mon père, qui a fait la guerre en Angola durant deux ans. Il en parle beaucoup, mais c’est récent. Il faisait partie d’une tropa d’elite, qui est l’équivalent des commandos. C’est assez fort aussi et assez visuel. Mon écriture est très visuelle, parce que lorsque j’écris je m’imagine un film. J’essaye de faire le lien entre la lecture, l’écriture et l’image.
CM : Ma dernière question est celle que je pose à chaque fois : est-ce que tu as un message pour les jeunes lusodescendants ?
Jorge Afonso Rapazote : : Déjà faire comme toi, ce serait déjà pas mal (rires). Pour la traduction du livre, c’est vraiment ta génération que je voulais toucher. J’en ai discuté avec José Cruz et La Harissa. Vu du Portugal, je pensais que les jeunes franco-portugais de ton âge n’étaient pas intéressés par le Portugal au-delà des vacances du mois d’août. J’étais convaincu qu’ils ne s’intéressaient pas à la langue, ni à la culture et l’histoire. Ils m’ont confirmé que j’étais dans le faux et que les jeunes de ton âge cherchent la rencontre avec le Portugal et essayent d’en savoir plus. Je trouve ça génial ! Je n’étais pas optimiste et c’est une très belle surprise. Je vous félicite : bato palmas comme on dit en portugais !
Cap Magellan : Merci Jorge ! C’est une superbe conclusion.
Nous vous invitons à vous procurer C’est où chez moi ? en librairie ou sur le site de Cadamoste éditions ou bien de Le Meilleur du Portugal.
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Interview réalisée par Julie Carvalho,
de Os Cadernos da Julie.