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27 mars 2024Où célébrer le cinquantenaire de la Révolution des Œillets en France (agenda jusqu’à juin 2024) ?
28 mars 2024En ce mois d’avril 2024, nous célébrons avec fierté l’événement historique le plus marquant de l’histoire récente au Portugal : la Révolution du 25 avril. Dans cette édition spéciale, nous consacrons nos pages aux festivités entourant le cinquantième anniversaire de la chute du régime de l’Estado Novo.
Plongeons ensemble dans cette page mémorable de l’histoire portugaise, où la Révolution des Œillets a symbolisé la fin de l’oppression et l’avènement triomphant de la démocratie, ouvrant ainsi un nouveau chapitre d’espoir pour le peuple portugais.
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Quelques rappels
L’Estado Novo, c’est quoi ?
L’Estado Novo, plus longue dictature d’Europe au XXe siècle, a modelé le Portugal de 1933 à 1974. Il s’agissait d’un régime autoritaire, dictatorial et colonialiste, empreint d’une inspiration fasciste, qui a réussi à perdurer au fil des contextes politiques européens et mondiaux, de l’entre-deux-guerres à la guerre froide.
Fondé sur la répression des libertés fondamentales de la société civile, telles que la liberté d’expression, d’association, de la presse, et surtout la liberté politique, ce régime était centré autour de la figure de Salazar et du parti de l’Union Civile. Les prétendues élections truquées, la répression et la censure implacable exercée par la PIDE, la police politique, a bridé le quotidien des Portugais.
Du point de vue économique, l’Union Civile a délibérément organisé l’isolement du Portugal du reste du monde en imposant des restrictions sévères sur les importations. Le gouvernement promouvait ainsi l’exploitation des ressources des colonies dans un modèle autarcique à l’échelle de l’empire qui, il va sans dire, s’est révélé irréalisable. Cette politique d’austérité économique priva les Portugais des avancées technologiques dont bénéficiaient leurs voisins, en plus d’orchestrer la domination des peuples colonisés. Dans les campagnes portugaises, c’est la petite agriculture de subsistance qui dominait, elle rimait malheureusement avec misère, pauvreté. Le niveau de vie y était désastreux, se traduisant par des taux de mortalité infantile et d’analphabétisme sans pareille avec les autres pays d’Europe.
Le lien étroit entre dictature et émigration
Dans les zones rurales du Minho, de Trás-Os-Montes et de la Beira Alta, la population faisait face à des conditions économiques particulièrement difficiles. Avec une forte dépendance à l’agriculture familiale, de nombreux habitants de ces régions peinaient à subvenir aux besoins de leur famille en raison du manque d’emplois et d’opportunités professionnelles. Animés par l’espoir d’améliorer leur condition de vie et celle de leur famille, des milliers de jeunes quittèrent la région pour tenter leur chance ailleurs en Europe, en France sur tout, mais aussi en Suisse, en Allemagne, au Royaume-Uni, etc. L’émigration a eu des répercussions durables sur l’économie locale, en raison du départ des jeunes en âge de travailler.
Pour les jeunes hommes de tout le pays, le sombre horizon du service militaire s’ajoutait aux difficultés et à l’oppression du quotidien. Alors que les autres puissances coloniales européennes ont petit à petit cédé face aux mouvements indépendantistes, le Portugal de Salazar resta déterminé à maintenir son contrôle sur ses colonies africaines et asiatiques. Les révoltes anticoloniales commencées dans les années 1960 ont évolué progressivement vers des guerres coloniales sanglantes, auxquelles les conscrits devaient participer pendant deux ans. Près de 10 000 vies portugaises ont été perdues dans ces conflits, pour près du double côté indépendantiste. C’est pourquoi échapper à l’enrôlement militaire était l’une des principales motivations derrière l’émigration des Portugais.
La musique comme moyen de contestation
Durant les années 1960 et 1970, la musique d’intervention émergea comme un outil de critique envers le régime, utilisant des chansons pour dénoncer le manque de liberté ainsi que les problèmes sociaux et politiques. En reprenant les codes de la musique populaire portugaise, des artistes engagés tels que José « Zeca » Afonso, José Mário Branco ou Sérgio Godinho ont utilisé la chanson comme une arme contre l’Estado Novo. Grândola, vila morena (1971) de Zeca Afonso, avec ses paroles « o povo é quem mais ordena », a été diffusée à la radio dans la nuit du 24 au 25 avril, servant de signal aux Capitães de Abril.
Une autre chanson ayant marqué le début des opérations militaires fut E Depois do Adeus de Paulo de Carvalho, laquelle a remporté le Festival da Canção de 1974 et représenté le Portugal à l’Eurovision. De nombreuses autres chansons présentées au Festival ont échappé à la censure, c’est le cas de Tourada de Fernando Tordo, lauréate du Festival en 1973. Cette chanson, écrite par Ary dos Santos, poète militant du Parti communiste Portugais, établissait une métaphore entre une corrida et le régime, critiquant le manque de liberté et exprimant l’espoir de la fin du régime.
La période postrévolutionnaire a été très fertile pour la musique d’intervention, qui a accompagné les luttes sociales immédiatement après le 25 avril, avec des chansons abordant des thèmes tels que les grèves, le risque « fasciste » ou encore des espoirs engendrés par la chute du pouvoir autoritaire. Cependant, avec le temps et les désillusions postrévolutionnaires, la musique d’intervention a connu un déclin significatif.
Dans les années 2010, marquées par la crise, de nombreux artistes ont renoué avec la musique d’intervention. Des chansons comme Sexta-feira (Emprego bom já!) (2012) de Boss AC ou Parva que sou (2011) du groupe Deolinda, ont critiqué les politiques d’austérité et la paupérisation des Portugais. Dans le domaine du hip-hop, des artistes comme Sam The Kid, Chullage, Valete ou Capicua ont également utilisé leurs paroles pour dénoncer l’injustice, les discriminations et la ségrégation sociale.
La Révolution des Œillets
Un mécontentement au sein de l’armée
La révolution s’amorça au cœur même de l’armée alimentée par une combinaison de facteurs politiques, économiques et sociaux. Trois éléments majeurs ont joué un rôle déterminant : une grave crise économique engendrée par le choc pétrolier de 1973 et la fin des accords de Bretton Woods d’une part, les divergences au sein des élites du régime d’autre part, mais aussi et surtout le mécontentement grandissant des jeunes officiers. De plus en plus convaincus que le Portugal ne pouvait pas sortir vainqueur des interminables guerres coloniales dans lesquels ils étaient engagés, ces officiers ont aussi été influencés par les idées révolutionnaires des mouvements de libération qu’ils étaient censés combattre. Ils s’identifièrent à la quête de liberté de ces peuples colonisés, alors qu’eux non-plus ne disposaient pas de telles libertés au Portugal.
Ces tensions au sein de l’armée, opposant les officiers de haut rang et les officiers juniors, se sont progressivement exacerbées nourrissant un sentiment général de désillusion envers le régime tant sur le plan politique que social. C’est dans ce contexte que le Mouvement des Forces Armées (MFA) émergea en 1973, prônant les principes de décolonisation, de démocratisation et de développement du Portugal, connus comme les « trois D ».
La révolution en marche
Les chansons E depois do Adeus de Paulo de Carvalho puis Grândola Vila Morena de José Afonso servirent de signal pour déclencher le coup d’État pacifique visant à renverser la dictature. Le soulèvement se déroula de manière remarquablement pacifique. Les putschistes prirent le contrôle des lieux clef de Lisbonne, diffusant des messages de paix sans recourir à la violence. Les places, les gares et les stations de radio furent occupées sans rencontrer de réelle résistance. Les œillets rouges que certains militaires placèrent dans le canon de leur fusil sont devenus l’emblème de la révolution. Des noms de fleurs sont d’ailleurs souvent associés aux révoltes pour évoquer la non-violence (révolution des roses en Géorgie, des tulipes au Kirghizistan, ou encore du jasmin en Tunisie).
Les Lisboètes soutinrent également massivement les putschistes, descendant dans les rues pour manifester leur solidarité. Même les militaires envoyés par le régime en place rejoignirent le mouvement, contraignant Marcelo Caetano, alors Premier ministre, à s’exiler à Madère. Seule la PIDE resta jusqu’au bout fidèle au régime déchu, elle est tenue responsable des quatre morts survenues lors de cette journée qui a changé la face du Portugal.
Démocratisation et retour des libertés individuelles
Un gouvernement de transition fut formé dès le 26 avril, marquant le début du processus de démocratisation du Portugal, connu sous le nom de Processo Revolucionário em Curso (PREC). Les premières mesures révolutionnaires inclurent la dissolution de la PIDE, la fin de la censure, ainsi que la légalisation des syndicats et des partis politiques. Les prisonniers politiques furent libérés et les dirigeants de l’opposition en exil rentrèrent au Portugal. Le 1er mai fut célébré avec une grande ferveur populaire réunissant près d’un million de personnes à Lisbonne. Les Portugais purent enfin profiter des libertés fondamentales desquelles ils avaient été privés pendant plus de quatre décennies.
Pendant deux ans, la vie politique portugaise demeura tumultueuse. Elle fut marquée par des affrontements entre les factions de gauche et de droite du MFA. La guerre coloniale s’acheva enfin, laissant place au processus d’autodétermination des peuples anciennement colonisés. La Guinée-Bissau, le Mozambique, le Cap-Vert, Sao-Tomé-Et-Principe et l’Angola déclarèrent successivement leur indépendance. Le Portugal se retira aussi du Timor-Leste.
En 1975, les premières élections libres pour l’Assemblée Constituante furent remportées par le Parti socialiste. L’assemblée travailla à l’élaboration d’une nouvelle Constitution, qui fut approuvée en avril 1976 par la majorité des députés, marquant la fin du Processus Révolutionnaire en Cours et le début d’une période de stabilisation politique et établissant une démocratie parlementaire. L’armée perd son rôle dans la vie politique portugaise, Mário Soares deviendra 10 ans plus tard le premier président du pays issu de la société civile.
Une mémoire à faire perdurer
La révolution des Œillets fut un moment charnière de l’histoire du Portugal et d’Europe, en mettant fin à 48 ans de dictature et ouvrant la voie à d’autres mouvements démocratiques en Espagne et en Grèce. Le 25 avril a donc profondément marqué le paysage politique européen.
En 2024, la révolution des Œillets demeure un symbole puissant de la capacité des peuples à s’élever pacifiquement contre l’oppression pour défendre la liberté. Célébrer cet anniversaire revêt une importance particulière dans un contexte où les partis politiques héritiers de régimes autoritaires et leurs idées gagnent du terrain, menaçant ainsi les fondements démocratiques. Pour reprendre une formulation de Victor Pereira, maître de conférences en histoire contemporaine et auteur de C’est le peuple qui commande. La Révolution des Œillets 1974-1976, et en prenant en compte les votes des Portugais à l’étranger : 50 ans après une révolution qui a mis fin à une dictature d’extrême droite, le Portugal accueille 50 députés d’extrême droite au sein de son assemblée, triste coïncidence.
Hugues Sapin, Mariana Cirilo et Mateus Santa Rita
Photo: Wikimedia / Freepik
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