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24 octobre 2023Filipe Vilas-Boas est un grand artiste contemporain. Récemment, il a mis en ligne son dernier projet : Le Fusionnaire, le dictionnaire des langues fusionnées. C’est un projet participatif focalisé sur la créolisation générale des idiomes.
Le Fusionnaire a pour but d’archiver l’inventivité du langage et de valoriser la poésie et la joie de la multiculturalité. Cap Magellan a évidemment voulu en savoir plus et Filipe Vilas-Boas a accepté de répondre à nos questions.
Cap Magellan : Tu es artiste et tu as d’ailleurs plusieurs expositions, notamment en région Île-de-France. Comment définis-tu ton art ?
Filipe Vilas-Boas : Je fais surtout du media art. En France, on englobe cela principalement sous la dénomination d’art numérique, ce qui me semble un peu dépassé puisque la société toute entière est numérisée aujourd’hui. Disons simplement que c’est de l’art contemporain.
Dans ma pratique, je ne suis pas focalisé sur une technique précise : ce qui m’intéresse c’est la question technique justement et l’espace public.
J’ai commencé à m’intéresser au numérique parce que je le regardais comme un espace public bis. Ma pratique a débuté dans la rue, mais avec un processus distribué : j’utilise souvent Internet pour que tout le monde puisse participer à mes projets. Mais de façon générale, je travaille beaucoup à matérialiser ce qui est invisibilisé aujourd’hui.
Cap Magellan : Où peut-on te voir ?
Filipe Vilas-Boas : Actuellement j’ai une œuvre sur l’accueil des personnes réfugiées qui est entrée récemment dans la collection permanente du Musée de l’immigration au Palais de la Porte Dorée.
Je présente aussi mon travail dans plusieurs expositions en ce moment : à la Biennale de Paname à Saint-Ouen, à la Serre Wangari et au Pavillon de l’Arsenal où je présente des oeuvres sur le thème des manifestations et des violences policières ; à la Triennale Art Public à la Galerie Fernand Léger à Ivry où je présente une sculpture sur le thème de l’architecture et de la démocratie et également la première version du Fusionnaire. Enfin je serai également aux Instants Vidéo à Marseille et au Festival La Science de l’Art en Essonne. La rentrée est chargée !
Cap Magellan : Félicitations ! Tu as voulu revenir à tes origines avec ton projet Le Fusionnaire, puisque tu es portugais, c’est bien cela ?
Filipe Vilas-Boas : Je suis né au Portugal effectivement, mais ce n’est pas pour revenir à mes origines que j’ai lancé ce projet. C’est ma culture tout simplement. J’avais déjà produit des œuvres sur la question de l’immigration en général, mais pas spécifiquement en lien avec le Portugal.
En fait, c’est une idée que j’ai eu enfant, en entendant régulièrement ma mère inventer des mots à cheval entre le français et le portugais. J’ai ensuite remarqué que c’était commun à toute la communauté portugaise, mais également à toutes les familles qui jouent constamment avec deux langues. J’ai donc voulu créer un lexique, mais en l’ouvrant à tout le monde et à toutes les langues ! C’est aussi une envie de valoriser cette créativité linguistique, cette inventivité qui appartient à tout le monde. C’est une richesse folle d’avoir deux cultures, deux paires de lunettes pour observer le monde. J’ai par exemple appris deux histoires de l’Occident : à travers l’histoire du Portugal et celle de la France, qui ne sont pas tout à fait les mêmes. Encore aujourd’hui, la question de la ségrégation et du racisme, même si elle frappe peut-être moins les Portugais qui sont blancs et d’origines catholiques, est une réalité. Il nous faut assumer qui l’on est, nos deux langues. C’est une richesse dont nous devons être fiers !
Cap Magellan : Le Fusionnaire est un projet en ligne qui est linguistique, mais également artistique. En quoi peut-on le qualifier d’artistique ?
Filipe Vilas-Boas : C’est un projet artistique parce qu’il a la mission d’archiver et de mémoriser la création de langage. Créer du langage, c’est une forme de poésie, même si ce n’est pas conscient. C’est de la création littéraire, à la portée de tous. J’y ai mis mes propres contributions et j’invite tout le monde à le faire.
Mon objectif est de ne pas attendre que certains mots accèdent au dictionnaire ou se popularisent pour les recenser. Je souhaite tous les garder et que tout le monde puisse apprendre de chaque culture à travers ces mots. C’est un réel plaisir de découvrir toutes les fusions. Accessoirement, ce processus me permet de montrer que la création artistique n’est pas réservée qu’aux artistes. Elle nous appartient à tous. Tout le monde est créatif. C’est aussi cet art-là que je veux mettre en avant !
Cap Magellan : Tu souhaites rendre l’art accessible à tout le monde et que tous puissent contribuer, mais comment peut-on contribuer au Fusionnaire ?
Filipe Vilas-Boas : C’est très simple : il faut se connecter sur www.fusionnaire.org, s’inscrire et ensuite libre à vous de partager vos créations familiales : quel mot, sa définition, expliquer la fusion et si possible donner un exemple. J’espère à terme avoir assez de matière pour en faire un vrai dictionnaire, pouvoir l’imprimer et l’offrir à ma mère, qui m’a inspiré l’idée !
Le concept est que tout le monde puisse apporter sa pierre à l’édifice, mais aussi apprendre des autres cultures. Et puis, ne nous leurrons pas, la langue a toujours évolué de cette façon : le langage ne cesse de voyager d’un pays à un autre. C’est ce voyage linguistique que je souhaite mémoriser avec le Fusionnaire.
Cap Magellan : Ton idée est également de casser les normes linguistiques.
Filipe Vilas-Boas : Oui ! Effectivement, il y a la langue que l’on fige pour l’apprendre, et c’est bien normal. D’un autre côté, il y a la langue que l’on parle, que l’on bricole, que l’on invente.
D’une certaine façon, c’est également un projet aux accents politiques, dans le sens où il permet à tout le monde de clamer haut et fort sa double culture, ce que l’on avait sans doute tendance à cacher avant, notamment pour mieux s’intégrer et éviter d’être mis à l’écart. Je prépare aussi des captations et des ateliers en plus du site en ligne, pour accompagner la contribution et exposer ultérieurement des témoignages sur la double culture.
Cap Magellan : Comment peut-on participer à ces ateliers ?
Filipe Vilas-Boas : Je suis en communication avec des personnes qui souhaitent m’aider à en organiser, pour toucher un public franco-portugais et plus large. Typiquement vous, Cap Magellan, par exemple. Ce que j’aime faire, c’est faire l’atelier et faire en parallèle un studio d’enregistrement avec caméra. Cela permet de contribuer au projet, ainsi que de collecter des photos et vidéos reportages qui alimenteront les prochaines expositions du Fusionnaire.
Le premier atelier aura lieu à 15h, le 21 Octobre à la Galerie Fernand Léger à Ivry. Je suis aussi en discussion avec le Musée de l’Homme à Paris pour une prochaine exposition où l’on programmera aussi des temps de médiation.
Cap Magellan : Comment imagines-tu l’exposition ?
Filipe Vilas-Boas : J’étais censé présenter le Fusionnaire avec du textile, avec des fils, du tissage et une mise en scène qui illustrerait le projet. A terme, j’aimerais jouer avec cette question des racines, les tresser, pour montrer quelque chose de plus que le site. J’aimerais également des vidéos de personnes qui parlent des mots, de leur double culture, etc.
Cap Magellan : J’ai une dernière question que je pose systématiquement à la fin de mes interviews : aurais-tu un message pour les jeunes lusodescendants ?
Filipe Vilas-Boas : Soyez fiers d’avoir deux paires de lunettes ! J’aime bien chausser les deux et je trouve que c’est une chance immense que d’avoir deux cultures. Nous ne nous en rendons pas compte, mais, avec deux langues, nous avons en quelque sorte deux cerveaux. La beauté du Fusionnaire réside justement dans le fait de recenser ces moments où « nos deux cerveaux » fusionnent.
Merci beaucoup Filipe ! Nous avons hâte de contribuer à ce beau projet.
N’hésitez pas à aller consulter et contribuer au Fusionnaire sur le site fusionnaire.org. Nous vous invitons également à suivre l’actualité de Filipe Vilas-Boas sur Instagram @vilasboas.filipe et son site filipevilasboas.com
Interview réalisée par Julie Carvalho,
Bénévole à Cap Magellan, Membre de l’équipe Tempestade 2.1,
Étudiante à l’ISMaPP
Retrouvez Filipe Vilas-Boas lors de son intervention pendant l’émission de radio Tempestade 2.1 : https://radioalfa.net/tempestade-2-1-podcast-15-de-outubro-2023/