A circulação das criptomoedas na Europa
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7 juin 2023Les Portugais représentent aujourd’hui plus de 2 millions de personnes en France. Entre 1957 et 1975, pas moins de 1 400 000 Portugais fuient le Portugal vers l’étranger. 900 000 tentent leur chance en France.
Ils affluent surtout en région parisienne où tout est à construire. Résilients et courageux, ils contribuent aux grands travaux de Paris et, à la sueur de leur front, ils participent à de grands projets tels que La Défense. Encore aujourd’hui, ils renvoient l’image d’un peuple travailleur et discret. Mais qui connaît réellement le long chemin qui a amené jusqu’en France les Portugais partis de chez eux entre 1950 à 974 ? Pourquoi ont-ils, un jour, quitté leur pays ? Quelles épreuves ont-ils traversées ? Comment ont-ils été reçus en France ? Pour nous éclairer sur ces questions, Cap Magellan interroge Mario Gomes, auteur du livre Une Odyssée Portugaise (presque ordinaire) dans lequel il nous raconte l’histoire de son père Carlos et de son périple vers la France.
Cap Magellan : Quand et pour quelle raison avez-vous eu envie d’écrire cette histoire ?
Mario Gomes : Il s’agit de la vie de mon père et d’histoires familiales que j’entends depuis ma plus tendre enfance. J’aimais tant ces récits qu’il m’a paru tout naturel de les raconter, à l’âge adulte, sous forme de roman. C’est un livre, au fond, que j’écris en moi depuis ma naissance.
Cap Magellan : Comment vous est venu le choix du titre ?
Mario Gomes : C’est un choix collégial entre l’éditrice, Sandra Canivet Da Costa, la relectrice, Alexandra Vieira et moi. Il résume plutôt bien la vie aventureuse des Portugais de cette époque, coincés entre la dictature de Salazar, la guerre coloniale, la révolution des Œillets, l’indépendance de l’Afrique lusophone et le destin d’émigrés.
Cap Magellan : Nous avons particulièrement aimé l’illustration de la première de couverture. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Mario Gomes : Il s’agit d’une illustration originale de l’artiste Nathalie Afonso inspirée par sa lecture du manuscrit Une Odyssée portugaise. Je la remercie d’ailleurs pour cette magnifique collaboration.
Cap Magellan : Avez-vous toujours écrit ?
Mario Gomes : Quasiment. J’écrivais enfant des petites nouvelles sur des cahiers d’écolier et, plus tard, je tenais un journal, sans ambition littéraire. Écrire était pour moi une façon de mettre de l’ordre dans le chaos ambiant. Aujourd’hui, écrire ou enseigner est pour moi une façon de transmettre quelque chose. Je le vois aussi comme une transmission spirituelle à mes enfants et à toute personne qui voudra bien me lire.
Cap Magellan : Le style qui vous a inspiré est celui de Louis-Ferdinand Céline. Pourquoi l’avoir choisi dans ce livre spécifiquement et pour cette histoire ?
Mario Gomes : J’ai été impressionné par le style de Céline dans ma jeunesse. J’aime les écrits que l’on reconnaît dès les premiers mots parce qu’ils ne ressemblent à rien d’autre. Je pourrais aussi citer Miguel Torga ou Aquilino Ribeiro parmi mes inspirations. Il s’agissait surtout dans Une Odyssée portugaise de rendre hommage au génie oratoire de mon père, à ce don de raconter les pires horreurs avec humour et poésie. Mon style, sur ce livre, est né de ce principe tout simple : écrire en français, mais penser en portugais. Cela produit un langage décalé, très portugais dans le fond, mais très français dans la forme.
Cap Magellan : Le roman aborde l’histoire portugaise et lusophone des années 1950 aux années 1970. Comment avez-vous procédé pour vos recherches, pour vous documenter ?
Mario Gomes : J’aime beaucoup ancrer mes récits dans la réalité. En arrière-plan, j’ai essayé de planter des décors authentiques d’époque jusqu’au moindre détail. J’ai puisé dans ma bibliothèque personnelle ou sur des sites en ligne. Par exemple, pour le premier chapitre, j’ai pioché dans les archives du journal Diário de Lisboa (intégralement numérisé). J’ai pu ainsi reconstituer les véritables actualités du 25 mars 1950, jour de la naissance de mon père. Il y a un énorme travail de préparation pour chaque chapitre de ce roman.
Cap Magellan : L’un de nous est historien et a adoré toutes les références et clins d’œil à des lieux, personnages ou événements de l’histoire du Portugal qui égrènent votre récit. Ces éléments ont-ils un écho si important pour vous ou pour le roman
Mario Gomes : J’avais envie d’affirmer haut et fort à travers ce roman et par ces références culturelles majeures que nous sommes un petit pays, mais que nous possédons une âme immense. Nous aussi nous avons de grands personnages, nous aussi nous avons réalisé des exploits, nous aussi nous avons marqué le cours de l’humanité par notre esprit d’initiative. C’est un peu ma déclaration d’amour à cette culture que je porte au quotidien en tant que professeur.
Cap Magellan : L’épisode central se passant en Angola semble important dans le roman, pour quelles raisons ?
Mario Gomes : L’idée étant de narrer le destin hors-norme des Portugais de cette époque, il était tout naturel de raconter l’Angola avec précision. Il fallait être à la hauteur du défi. Reconstituer l’Angola des années 60/70 m’a demandé beaucoup d’efforts même si l’essentiel se base sur le témoignage de mon père et d’autres Retornados. J’ai particulièrement soigné mes récits de guerre et la débâcle portugaise après le 25 avril 1974. Après la révolution des Œillets, les Portugais dans les colonies ont vécu des heures dramatiques.
Cap Magellan : S’agit-il d’une biographie précise de l’histoire de votre père ou avez-vous pris des libertés dans le récit ?
Mario Gomes : Il s’agit d’un roman. Les gens en lisant le livre ne se rendent pas compte qu’il s’agit d’une fiction inspirée de la vie de mon père. Ils ont l’impression de connaître mon père comme un ami proche. Quand j’entends ces réactions amicales, je me dis que j’ai plutôt bien fait mon travail de romancier.
Cap Magellan : Selon vous, votre ouvrage porte-t-il un message ? Si oui, lequel ?
Mario Gomes : J’aime l’idée que chacun tire ses conclusions. Je ne veux imposer mon point de vue à personne. Je suis celui qui pose les questions. J’écris entre les lignes. À chacun de trouver ses réponses.
Interview réalisée par Julie Carvalho, membre de l’équipe Tempestade 2.1 et étudiante en troisième année à l’ISMaPP, et Samuel Lucio, professeur d’histoire-Géographie au Lycée Général Stendhal de Grenoble.
Photo: Mario Gomes / Couverture du livre : Nathalie Afonso