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29 avril 2020Ana, confessions entre The Voice et la cause LGBT
30 avril 2020J’ai eu la chance extraordinaire de traduire le dernier recueil de nouvelles de l’une des grandes écrivaines portugaises actuelles, Teresa Veiga. On sait très peu de choses sur elle. A l’instar de l’Italienne Elena Ferrante, c’est une auteure extrêmement discrète, refusant les interviews et les apparitions. L’on sait seulement qu’elle écrit sous pseudonyme, qu’elle est née en 1945 à Lisbonne, qu’elle a fait des études de droit et de littérature romane et qu’elle a travaillé un temps à l’Etat Civil. L’on sait surtout qu’elle est une nouvelliste renommée et reconnue dans son pays. En une trentaine d’années et une petite dizaine de parutions, elle a remporté trois fois le Grand Prix Camilo Castelo Branco, l’équivalent portugais du Goncourt de la nouvelle. La seule manière de la rencontrer, de la découvrir, c’est de plonger dans son univers littéraire foisonnant et intemporel.
Qui rencontre-t-on dans Gente Melancolicamente Louca ? On fait la connaissance de Natacha, d’Adèle, de Dinora, d’Isabela, de Manuela, de Kitty et d’autres personnages féminins aux vies aussi extraordinaires que le quotidien peut être. Des anti-héroïnes que l’on a tous croisées au détour d’une rue, d’une page de journal ou même d’un roman ! Des personnalités trempées, inspirantes, dont le sexe est tout sauf faible. Souvent humiliées, rabaissées, martyrisées par l’usure du temps, des hommes et de la société, elles révèlent toute la complexité de l’espèce humaine, à coups de manipulations, de résistances, d’effronteries, de malices et surtout grâce à leur goût immodéré pour la liberté.
Et des libertés, Teresa Veiga en prend volontiers en écrivant ces petites prouesses littéraires. Du faux conte libertin au faux conte policier, en passant par le pastiche du conte gothique ou du fait-divers, elle s’amuse à s’approprier les codes de la littérature classique pour mieux la réinventer et la sublimer. Chaque histoire est un joyau de narration, et pour une passionnée de livres comme moi, ce fut un réel plaisir de me plonger dans ces univers à la fois si familiers et si déroutants. Car la littérature, la vraie, n’est pas qu’une affaire de simple divertissement. Elle est questionnement, elle est réflexion, elle est critique et elle est évasion. Questionnement sur nous-mêmes et les autres. Réflexion sur le passé et l’avenir. Critique de la société et des mœurs. Evasion vers l’imaginaire.
Lire Teresa Veiga, c’est explorer onze courts romans en un seul, passer du rire aux frissons, de la surprise aux larmes. C’est retrouver de véritables héroïnes de romans (les clins d’œil aux grands récits de la littérature sont nombreux). C’est sortir de sa zone de confort pour de nouvelles expériences toujours plus enrichissantes à chaque page. C’est (re)découvrir, de nouvelles en nouvelles, le plaisir de lire, tout simplement.
Ana Torres
Folles mélancolies, Teresa Veiga, éditions Chandeigne
Suggestions de lecture
L’enfant caché, Godofredo de Oliveira Neto
Aimoré, faussaire génial de tableaux, pris dans un processus de violence et de folie, se bat avec sa folie. C’est le roman de sa confession adressé à un personnage qu’il nomme professeur à qui il dévoile sa vie, réaliste ou fantasmée à Rio de Janeiro avec des incursions dans les paysages magiques de la baie de Babitonga. Le lecteur est tenu en haleine par un narrateur halluciné, plongé dans son imaginaire de créateur, en quête du sens de sa vie. C’est à la recherche d’un enfant caché dans le tableau de Portinari qu’Aimoré rencontrera Ana Perena, sa muse de la baie de Babitonga.
Les Sables de l’empereur, Mia Couto
A la fin du XIXe siècle, le Mozambique est ravagé par les guerres entre les clans et contre les colonisateurs. Germano, un soldat portugais exilé sans espoir de retour parce que républicain, et Imani, une jeune Africaine, trop belle et trop intelligente, son interprète, sont le fil rouge de ce roman où ils évoluent parmi des personnages historiques bien réels, comme l’empereur africain Ngungunyane et le flamboyant Mouzinho de Albuquerque, “pacificateur” du Mozambique.
Un château à Ipanema, Martha Batalha
- Johan Edward Jansson arrive à Rio de Janeiro en tant qu’ambassadeur de Suède au Brésil. Sa femme Birgit et lui s’installent et commencent à transformer la petite station balnéaire d’Ipanema en une destination parmi les plus prisées au monde. Par amour pour cet endroit, Johan y fait construire un château au bord de l’eau. Dès lors, Ipanema deviendra le lieu de toutes les excentricités, autour duquel se tisseront de nombreux destins – de Birgit, hantée par des voix dans sa tête, à Álvaro Alvim, un médecin célèbre rongé par les conséquences de ses expériences, et sa fille Laura, une petite-bourgeoise qui se rêve actrice. Mêlant figures réelles et personnages fictifs délicieusement bariolés, Martha Batalha nous emporte dans un récit empreint de rêves et de légendes. Tel est le talent de Batalha : écrire une chronique historique, une fresque sociale et une saga familiale hilarante.
Ana Torres
https://editionschandeigne.fr/livre/folles-melancolies/
Découvrez cet article (et bien d’autres) dans l’édition d’avril 2020 du CAPMag N°298 : https://capmagellan.com/wp-content/uploads/2020/03/CAPMag-298-WEB.pdf