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22 décembre 2023Cet été 2023, le Studio l’Ermitage a offert une programmation autour de la musique brésilienne. A cette occasion, les samedis 8, 15 et 22 juillet, Fernando Del Papa proposait sa Roda de Samba dans cette salle mythique du jazz et des musiques du monde. Le samedi 8 juillet, Cap Magellan a été invitée à assister à son concert et il nous a offert une interview exclusive.
Cap Magellan : Ce soir, nous nous rencontrons au Studio l’Ermitage pour le premier soir de la Roda de Samba. Qu’est-ce que ce projet représente pour toi ?
Fernando Del Papa : C’est difficile de parler de Roda de Samba pour moi. Tout d’abord, c’était un projet artistique. Pour moi, c’est avant tout une réunion de famille. Quand on parle de Roda de Samba, on parle d’une ronde pour jouer de la samba. On se met autour d’une table et on joue ! C’est comme ça que je faisais chez moi. Effectivement, cela peut devenir un spectacle, mais c’est en premier lieu la façon dont j’ai appris la musique dès enfant. Avant même de toucher un instrument, j’étais déjà imprégné de cette musique. Cela a évolué, parce que je suis le seul professionnel de la famille, même si tout le monde joue. Cette roda, cette ronde qui se faisait à la maison, a évolué jusqu’à ce que cela devienne aujourd’hui un spectacle où je présente des morceaux traditionnels, des compositions et des recherches artistiques.
Cap Magellan : Est-ce qu’au Brésil tout le monde fait de la musique ou il y a des familles spécifiques où c’est très ancré tandis que dans d’autres pas du tout ?
Fernando Del Papa : La musique est très présente. En France, on parle très souvent d’apprendre la musique, on pense au conservatoire. Là-bas, la tradition morale est très forte. Je suis devenu professionnel sans connaître la musique écrite : je jouais des accords sans les connaître réellement. Des années plus tard, je m’y suis intéressé, je me suis formé et diplômé. La musique reste très accessible : c’est le partage. Au Brésil, la distinction entre la musique amateure et professionnelle est différente de celle de la France. Ici, on se pose beaucoup la question de savoir si on joue ou non. En réalité, nous jouons tous un peu, puisque nous chantons tous un peu, nous dansons tous un peu. Le plus important, et c’est là le message que j’essaye de transmettre notamment à mes enfants et à mes élèves, c’est que tout le monde doit jouer un petit peu. Au Brésil, tout le monde ne joue pas, mais tout le monde participe. Et donc ce sont tous des musiciens. Rien que le fait de taper dans les mains fait de nous des musiciens, sans être obligé d’être des virtuoses.
Cap Magellan : Le Studio l’Ermitage est un peu une deuxième maison pour toi, non ? Tu y viens très souvent ! Qu’est-ce qui te plaît autant dans cette salle ?
Fernando Del Papa : C’est une autre famille ! Entre eux déjà, c’est une famille. Ils ont créé ce projet avec un esprit familial. Tout le monde participe, que ce soit ceux qui gèrent la programmation, le bar, les artistes… tout le monde rentre dans cette famille ! Quand je suis arrivé en France avec mon père et ma tante, nous nous sommes rendus compte que c’était la même vision de la musique que la nôtre. Nous faisons des Roda et eux ils font des Roda d’artistes de jazz, d’artistes du monde. Nous nous sommes sentis comme chez nous et nous avons créé une grande famille !
Cap Magellan : Et c’est pour cette raison que tu fais ta Roda ici, en famille.
Fernando Del Papa : Exactement ! Nous, nous jouons autour de la table, mais en réalité nous sommes une grande Roda où le bar participe, la sécurité, l’ingé son… La Roda ce n’est pas celle qui est sur la scène autour de la table. Nous formons tous une grande Roda, tout le monde participe !
Cap Magellan : Ton dernier album Eu também est sorti en 2018. Tu es revenu en Europe pour célébrer ton nouvel EP On the roda. Pendant tout ce temps, et depuis tout petit, tu n’as jamais réellement arrêté de composer. C’est un besoin pour toi ?
Fernando Del Papa : Je pense que composer fait partie de moi. Je vis la composition tous les jours. Il y a un morceau que je vais jouer ce soir pour la première fois et que j’ai mis trois ans à composer. Je n’ai pas mis trois ans parce que je cherchais désespérément. Non, simplement, un jour j’ai trouvé un thème, j’ai pris un dictaphone et j’ai enregistré la mélodie. C’est au fur et à mesure, au fil des années, que j’ai composé, et j’ai terminé ce morceau trois ans après. Il était dans mon bac à compositions, à idées, à créations. Je sens qu’aujourd’hui c’est une demande de Fernando, mais aussi du public. On me demande beaucoup ce que j’aimerais faire artistiquement. C’est la première fois que je fais un disque de samba. Le premier disque que j’ai fait samba, A roda do cavaco, c’était en groupe. C’était collectif, chacun apportait ses idées. Eu também c’était encore une autre recherche artistique, pas du tout samba. C’est la première fois que je décide de faire quelque chose de tout ce que j’ai construit avec la samba, à l’Ermitage, avec les cours que j’ai donnés. A Marseille, il y a trois Roda et la moitié sont des élèves à moi ! Tout ce que l’on sème fleurit et évolue des années après. Je sens aujourd’hui que c’est le moment samba pour moi. J’ai l’impression également qu’on m’invite pour participer à cet impressionnant mouvement samba qui existe en Europe.
Cap Magellan : En octobre 2020 tu as donné des cours gratuits et en ligne de musique brésilienne. Qu’est-ce que ça t’apporte les cours de musique ?
Fernando Del Papa : Je me suis inscrit à l’université de Paris VIII, parce que je ne connaissais pas la musique écrite et j’ai voulu suivre une formation. J’ai enfin essayé de reprendre mon diplôme en France, faire plus d’académique et reprendre mon Master au Brésil. Il y a deux branches qui m’intéressent depuis toujours : l’enseignement de la musique et la recherche de la construction de l’instrument. Depuis dix ans, je suis un cours de lutherie et je fabrique mes propres cavaquinho. En rentrant au Brésil avec mon diplôme, j’espère faire de la recherche académique qui mélange la construction d’instruments et l’apprentissage de la musique. C’est le thème de mon Master !
Roda do cavaco, c’est un groupe que les gens connaissent comme tel depuis 2006. En 2005, nous avons créé une association dans laquelle nous jouions de la musique autour de la table. Avec ces cours, notre groupe d’élèves est ensuite devenu un groupe professionnel de samba. Nous avons créé une roda des élèves, d’amateurs, qui est devenu un groupe de professionnels.
Cap Magellan : Tu aimerais voir plus d’élèves de musique brésilienne en France ?
Fernando Del Papa : Maintenant j’habite à Rio de Janeiro. J’essaye de venir de temps en temps, une fois par an en Europe. Je donne des cours, j’organise des stages, mais en ce moment je donne des cours en ligne. Les gens viennent de partout en France. Cela permet de transmettre la façon de jouer, mais également de composer. C’est important pour moi de pousser mes élèves à composer. J’ai un élève par exemple qui compose des chansons françaises au cavaquinho. J’adore ça ! Il y a des instruments qui sont vus comme étant pour tout type de musique, mais pas le cavaquinho. Pourtant, je pense que cet instrument est très intéressant et qu’il peut aussi être le porte parole d’autres musiques. Je pousse mes élèves le plus possible dans ce sens ! D’ailleurs, aujourd’hui à l’Ermitage, vous verrez un grand virtuose du cavaquinho, qui s’appelle Mateus de Nato. C’est un jeune, mais qui joue vraiment très bien.
Cap Magellan : De manière générale, d’où sont originaires tes élèves ? Sont-ils principalement brésiliens ou lusophones ?
Fernando Del Papa : Il y a de tout ! Les vingt dernières années j’ai surtout eu des Français, avec des origines, mais qui écoutent de tout. C’est intéressant de travailler avec eux.
Cap Magellan : Et les cours sont ouverts à tout le monde ? Il suffit de te contacter ?
Fernando Del Papa : Complètement ! A un moment je faisais beaucoup de concerts et moins de cours, mais j’ai toujours gardé des créneaux pour partager des moments avec mes élèves. Maintenant je prends aussi des débutants. Je leur fais écouter beaucoup de musique. C’est très important de passer par là dans l’apprentissage, parce qu’on ne peut pas fabriquer une musique sans avoir des notions sur ce qui a déjà été fait, sur le son de l’instrument, la sonorité pure. Pour créer, c’est bien de s’imprégner de ce qui existe depuis des années. Je leur fais écouter un peu de tout. Le Brésil est un grand pays. La samba du sud n’est pas la même que celle du nord. En France, on entend souvent dire que c’est « brésilien ». D’accord, mais d’où exactement ? Il y a des accents différents, des modes de vie, des sonorités… J’essaye de faire des cours dans lesquels nous faisons un voyage au Brésil à travers la musique.
Cap Magellan : Comme tu le disais, ta vie se déroule entre Rio de Janeiro et Paris. Comment te sens-tu entre ces deux univers ? Qu’est-ce que l’un t’apporte par rapport à l’autre ?
Fernando Del Papa : J’ai eu la chance de venir en France. Beaucoup de musiciens de Rio de Janeiro souhaitent aller en Europe, partir faire des études et tous n’ont pas la même chance que moi. Je suis venu pour six mois et finalement je suis resté vingt ans ! Les portes se sont ouvertes, des rencontres se sont faites… parce que j’étais ouvert à cette expérience. J’ai joué du jazz avec des artistes, j’ai eu la chance de rencontrer des musiciens que j’adore, etc. Paris est un endroit où la rencontre avec la musique du monde est très importante. C’est une ville très culturelle et pas seulement musicalement. En ce moment, j’adore voir des collaborations entre d’autres univers culturels. Aujourd’hui, lorsque je compose, je m’inspire plus d’expositions que de concerts. A Rio de Janeiro, c’est différent. La musique brésilienne est très codifiée. En France, s’il n’y a pas de guitare dans un concert comme la Roda, ce n’est pas grave. Au Brésil ce n’est pas possible. Les oreilles des Brésiliens sont formatées avec une guitare. J’adore avoir Paris pour pouvoir oser, créer de nouvelles sonorités ! Par contre, quand j’arrive là-bas, il faut que je rentre dans les rails pour jouer ce que les locaux aiment, mais il y a également une oreille critique très intéressante. J’adore les critiques, je les trouve très intéressantes. C’est pour cela que j’ai voulu rentrer au pays également. Cela me permet aussi de voir des jeunes, très jeunes, jouer de la musique brésilienne. Ici, j’enseigne plutôt à des jeunes adultes, pas à des enfants. Cela me manquait et cela m’a fait du bien de revoir ça en rentrant au Brésil.
Cap Magellan : Pourquoi c’est aussi important pour toi de transmettre l’amour de la musique brésilienne à l’étranger ?
Fernando Del Papa : Je ne m’en rends même pas compte en réalité. Le cavaquinho est comme mon troisième bras, il fait partie de moi. J’ai envie de jouer et de partager avec les gens. Avant, je ne parlais pas français. Je ne pouvais pas parler avec les autres, mais si je voyais un musicien, nous pouvions passer la soirée à jouer ensemble sans parler la même langue. La musique est ma façon de communiquer. En arrivant en France, la langue que je parlais le mieux était la musique. C’est grâce à cela que j’ai réussi à partager, à montrer ma musique et en apprendre d’autres.
Cap Magellan : Venir en France et jouer de la samba permet également de rompre avec les clichés.
Fernando Del Papa : Exactement. Beaucoup pensent qu’il ne peut pas y avoir de paroles profondes dans la musique brésilienne. Ce n’est pas toujours le carnaval de Rio ! Cela permet de montrer toutes les nuances de la culture de cet immense pays.
Cap Magellan : Tu fais aussi connaître le cavaquinho, qui est peu connu ! Peux-tu rapidement nous expliquer ce que c’est ?
Fernando Del Papa : J’adore parler de ça ! Le cavaquinho est un instrument portugais. Il est créé là-bas, mais au Portugal personne n’en joue. C’est un instrument très traditionnel. Le mot cavaquinho vient de cavaco qui désigne un bout de bois. C’est le bois qu’il reste lorsque l’on fabrique une guitare. Comme ce n’est pas possible de faire une autre guitare avec ce bout de bois, alors on en fait une petite guitare ! Cavaquinho, c’est le petit cavaco. Cet instrument, petit et très pratique, est parti en bateau dans toutes les colonies portugaises. Au Brésil et au Cap-Vert, il a gardé le nom de cavaquinho. Lorsqu’il est arrivé à Hawaii, il est devenu ukulélé. En fait, le cavaquinho est le papa du ukulélé ! Par contre, le cavaquinho a des cordes en acier, tandis que le ukulélé a des cordes en nylon, en plastique. Le ukulélé peut se jouer avec la main, pour le cavaquinho il faut utiliser un médiateur. L’accordage et les sonorités ne sont pas du tout les mêmes. Cela ne se joue pas de la même façon et quelqu’un qui joue du ukulélé ne pourra pas jouer facilement du cavaquinho. Ce n’est pas le même instrument.
Cap Magellan : Pourquoi cet instrument est si spécial pour toi ?
Fernando Del Papa : C’est une bonne question. Je ne sais pas trop te répondre. J’en parlais avec ma fille avant de partir. Je faisais ma valise et je lui disais que je pourrais partir sans mes affaires, même sans mon passeport, mais je ne pourrais pas oublier mon cavaquinho. Je peux vivre n’importe où tant que j’ai mon instrument. Le cavaquinho est l’instrument avec lequel j’ai construit mon savoir-faire. Il vibre avec moi. Je suis en dialogue constant avec lui. Ce que j’aime aussi dans ma façon de jouer, c’est que cet instrument peut être considéré comme une percussion. Je suis un troubadour avec lui. Qu’il y ait du monde ou non, tant que j’ai mon cavaquinho je peux jouer et raconter une histoire. J’ai l’impression qu’avec lui je peux aller n’importe où ! Je peux guider un gros orchestre, de façon improvisée. Depuis quinze ans que nous jouons à l’Ermitage, nous n’avons jamais répété, c’est toujours improvisé, même si bien sûr nous avons un répertoire en commun. Le cavaquinho a une place très importante, il permet d’arriver à quelque chose de fin. Il permet de composer au fur et à mesure du show.
Cap Magellan : Tu as commencé en étant connu comme Fernando Cavaco et tu as ensuite changé de nom pour Fernando Del Papa. Pourquoi ?
Fernando Del Papa : Déjà lorsque j’étais petit au Brésil j’étais surnommé Fernandinho do cavaco, le petit Fernando qui joue du cavaquinho. En France, on m’a appelé Fernando do Cavaco. Je n’ai pas choisi, c’est un nom qui s’est imposé et qui est resté.
Lorsque j’ai composé Eu também, il y avait du cavaquinho, mais sans qu’il ait la même place que dans la samba. Je me suis rendu compte que j’avais envie de faire de la musique sans que ce soit forcément la musique brésilienne que tout le monde connaît. Je me suis décidé à mettre mon nom de famille : Del Papa. C’est drôle d’ailleurs, parce que quand j’ai fait la réunion avec les producteurs en disant que je voulais reprendre mon nom, ils étaient contre. Pourtant, avant tout je suis Fernando Del Papa ! Je suis les deux. C’est pour cela que le disque s’appelle Eu também. C’est aussi la première fois que je décidais pour moi-même. J’ai beaucoup travaillé en groupe et là je faisais vraiment les choses pour moi.
Cap Magellan : J’aime bien terminer sur cette question : est-ce que tu aurais un message à faire passer aux jeunes lusodescendants ?
Fernando Del Papa : Ce que j’essaye de faire en Europe depuis que je suis là et que je fais aussi avec mes enfants, c’est de montrer qu’il faut avoir toujours un peu de musique dans la vie. Il y a des gens qui font vingt ans de conservatoire, qui cherchent la musique parfaite et qui finissent par arrêter totalement sous les critiques. Des années plus tard, ils viennent me voir en me disant que la musique brésilienne est très accessible. Toutes les musiques sont accessibles. Simplement, il n’y a pas besoin de juger ce qui est professionnel ou amateur. Nous aussi nous sommes critiques, mais le plus sympa c’est de partager la musique ! S’il y a bien un message que je veux faire passer aux jeunes et que je fais passer à mes enfants c’est : faisons de la musique ! Vibrons ensemble !
Cap Magellan : Merci beaucoup Fernando. Nous avons hâte de vibrer ensemble lors du concert !
Le concert a été un succès. Le Studio l’Ermitage était au Brésil et tout le monde chantait et dansait la samba !
Retrouvez d’autres artistes lusophones au Studio l’Ermitage et suivez l’actualité de Fernando Del Papa ! Plus d’informations sur les sites de la salle et du chanteur.
Interview réalisée par Julie Carvalho,