Retour sur le Forum Emploi 2023
14 février 2023Portugal, fim do “golden visa”
31 mars 2023Le 12 avril sort Alma Viva dans toutes les salles de cinéma de France, le 20 avril il sera en Belgique, aux Pays-Bas et au Luxembourg, le 2 mai en Suisse et le 5 mai en Espagne. Cristèle Alves Meira, réalisatrice du film, répond à nos questions.
Le film raconte l’histoire de la petite Salomé qui, le temps des vacances, retrouve le village familial. Alors que les vacances battent leur plein, la grand-mère adorée de Salomé meurt subitement et pendant que les adultes se déchirent au sujet des obsèques, Salomé est hantée par l’esprit de celle que l’on considérait comme une sorcière. L’équipe de notre émission de radio Tempestade 2,1 a discuté avec Cristèle Alves Meira pour en savoir plus sur le film.
Cap Magellan : C’est ton premier long métrage, après la réalisation de deux documentaires et quatre courts-métrages, tous autour de la lusophonie. Peut-on dire que tu as trouvé ta façon de lier ces deux passions : la lusophonie et le cinéma ?
Cristèle Alves Meira : Je suis née en France de parents portugais, c’est ma double identité qui m’amène à faire des films. J’ai réalisé un premier film documentaire au Cap-Vert et un autre en Angola, puis quatre courts-métrages de fiction entre le Portugal et la France. J’avais besoin de questionner cette autre partie de moi, en sachant que, comme beaucoup d’enfants issus de l’immigration, j’ai grandi avec l’école française, mais en ayant à la maison une éducation portugaise, j’allais tous les étés au Portugal. Pendant longtemps, j’ai plutôt caché ma partie portugaise, surtout à l’école et à l’adolescence. C’est quand j’ai atteint la majorité que je me suis rendu compte que c’était une force, que c’était important de la mettre en avant. Il y a une grande richesse dans notre culture et beaucoup d’histoires inspirantes à raconter. Je faisais du théâtre avant, mais je n’y trouvais pas une façon de ramener le Portugal, ce n’était pas assez proche du réel pour moi. J’avais envie de filmer les paysages, la langue, les visages… Le cinéma m’est apparu comme le meilleur vecteur.
Cap Magellan : Avec Som & Morabeza et Born in Luanda, tu étais plutôt tournée vers le Cap-Vert et l’Angola. Pourquoi commencer par ces deux pays lusophones et pas par le Portugal directement ?
Cristèle Alves Meira : C’est une question de moment de vie, je pense. J’avais à peine 20 ans quand je suis partie tourner au Cap-Vert. J’avais entendu parler d’une bourse parisienne qui s’appelait « Paris Jeune Aventure ». Elle permettait d’avoir quelques milliers d’euros pour aller faire un film à l’étranger. J’ai pensé au Cap-Vert, parce que ça me permettait de mêler mon désir de faire un film et mon désir de voyager. Alors j’ai choisi de me pencher sur la musique cap-verdienne qui me passionnait.
Pour l’Angola, le déclencheur a été une photo que j’ai retrouvée au fond d’un tiroir chez mes grands-parents. Sur cette photo, il y avait un de mes oncles qui a fait la guerre coloniale là-bas. Il pose fièrement dans son costume de militaire devant un charnier d’enfants décédés. C’était très violent comme image. J’ai réalisé à quel point c’est un sujet secret et tabou et j’ai voulu aller voir de plus près. Effectivement, c’était un voyage difficile. En 2008, le pays sortait à peine de 35 ans de guerre. Ça a été dur de m’adapter, d’être acceptée… Les conditions étaient difficiles dans la favela où je m’étais installée, mais c’était vraiment une expérience très enrichissante.
Cap Magellan : Est-ce qu’on peut s’attendre à nouveau à des films sur ces pays lusophones ou sur d’autres pays lusophones ?
Cristèle Alves Meira : Oui pourquoi pas. Quelqu’un me proposait justement de retourner au Cap-Vert… ce n’est pas encore concret comme projet, mais si ça le devenait, je serai très heureuse de retourner au Cap-Vert. Le Mozambique est un territoire très intéressant aussi qui m’attire beaucoup. Mais maintenant, j’ai deux enfants, donc partir sur des terrains plus lointains est tout de suite plus compliqué, même si je ne me ferme pas de portes pour autant. Je pense beaucoup au Brésil par exemple ! Mes parents, depuis qu’ils sont à la retraite, ont une grosse passion pour le Brésil et ils passent la moitié de leur année là-bas. Je suis allée plusieurs fois dans ce pays pour leur rendre visite et je me dis souvent que ça pourrait vraiment être un territoire intéressant. Déjà dans un de mes courts-métrages, Tchau-Tchau, j’ai un peu filmé mon père au Brésil, dans cette moitié d’année qu’il passe là-bas. J’aimerais bien aller plus loin et sans doute écrire un autre film au Brésil.
Cap Magellan : Revenons à Alma Viva, ton dernier projet. Dis nous à qui s’adresse ce film ?
Cristèle Alves Meira : Ce film s’adresse à tout le monde, même mon petit garçon de 4 ans l’a vu ! C’est un film qui aborde des questions de famille et qui se regarde en famille. L’histoire se déroule dans un village au Portugal, l’été. Il traite de questions très universelles comme l’amour d’une petite fille à sa grand-mère, la question du deuil, d’une famille divisée entre ceux qui ont immigrés et ceux qui sont restés, des morts, des vivants et de la relation qu’on a avec nos absents… et puis l’été au Portugal, avec toutes ses réalités comme le mélange des Portugais de France qui reviennent, les bals, les histoires de sorcières, etc. Les souvenirs que j’ai de mes vacances au Portugal sont très chaleureux, très lumineux et, en même temps, il y a toujours eu des histoires un peu étranges que j’ai pu entendre dans des conversations familiales ou dans le village. Le film témoigne aussi de cette part d’ombre et de lumière qui peut traverser ces petits villages. Le but c’est également de transmettre cette vision du Portugal aux non-lusophones.
Depuis sa sélection au festival de Cannes en mai 2022, le film fait le tour du monde. Des gens du monde entier ont déjà vu Alma Viva et je peux témoigner du fait qu’il parle à tout le monde, de toutes les nations. C’est vraiment très émouvant de voir à quel point une histoire qui s’inscrit dans un milieu très particulier va en fait parler à des gens de partout. C’est une façon de se rappeler qu’on partage tous les mêmes préoccupations. Même si les traditions sont différentes, même si la langue n’est pas la même, on a tous besoin de rituels pour nos morts, on a tous besoin d’une grand-mère, on est tous passé par le deuil et les questions d’héritage qui l’accompagnent.
Cap Magellan : C’est dans la région de Trás-os-montes que se déroule le film, dans le village de ta grand-mère, dans ton village familial. Pourquoi avoir choisi cet endroit ? Et comment s’est passé le tournage ?
Cristèle Alves Meira : J’étais très heureuse et fière de tourner dans mon village, c’était très excitant. Tout le village s’est transformé en décor de cinéma, les gens ont prêté leurs maisons pour faire les décors, leur voiture, leurs animaux, les rues ont été bloquées quand il fallait y tourner… Tous ceux qui le voulaient pouvaient jouer dans le film donc beaucoup de gens de mon village l’ont fait ! Tout était devenu un décor de cinéma pendant plusieurs mois. Il y avait une dynamique incroyable !
En plus, on sortait du covid, on avait passé des mois enfermés, donc c’était vraiment une grande fête de pouvoir travailler ensemble ! On n’a pas eu de cas de covid, maison a eu plein de mésaventures liées aux intempéries ! La vie d’un tournage est toujours très compliquée, il y a plein d’épreuves à affronter, mais je me sentais très entourée et ça, c’était le plus important. Les obstacles ont soudé l’équipe et l’ont rendue plus forte. Entre la préparation du film et le tournage, j’ai passé quasiment six mois dans le village, chez mes parents. J’ai même scolarisé mes enfants à l’école là-bas. C’était génial, ils ont été à l’école de Vimioso. Ça leur a permis d’améliorer leur portugais ! Même si c’était beaucoup de travail, c’était inoubliable. Une grande aventure !
Cap Magellan : Au-delà de ça, c’est ta fille qui joue le rôle de Salomé, le personnage principal. Pourquoi ce choix ? Comment cela s’est passé pour elle et pour toi ?
Cristèle Alves Meira : Le personnage du scénario était un peu plus âgé que ma fille. J’ai passé beaucoup de temps à chercher une petite fille en casting sans la trouver et, finalement, elle était tout près de moi. Le film raconte une histoire de transmission et, en faisant ce film avec ma propre fille, je lui transmets d’une certaine façon le Portugal que j’ai connu dans mon enfance, ses traditions, sa langue, sa culture.
Il y avait beaucoup de défis à relever pour elle. C’est une histoire de sorcières, de possession… Ce qui est étonnant, c’est que, en visualisant le film, on peut penser que c’est très dur, mais l’envers du décor n’est pas du tout aussi dramatique que ce que l’on croit. C’est la magie du cinéma qui fait que l’on arrive à créer cette tension dramatique, parce qu’il y a de la musique, des effets spéciaux, des jeux de lumière… Pour revenir par exemple à la scène où elle doit manger une tête de poule, la tête qui apparaît à l’image a été trafiquée, on a rajouté un bec, des yeux, qui rendent tout très réaliste. En réalité, sur le plateau, elle a mangé effectivement une vraie tête de poule, mais qui avait été complètement désossée et cuisinée. Je parle pour elle, mais elle trouvait ça assez bon ! En fait, ce rituel existe réellement au Portugal. Il ne vient pas de Trás-os-montes, mais de la région do Minho d’où est originaire mon père. On fait manger une tête de poulet aux enfants qui font des cauchemars, cuite évidemment, derrière une porte et c’est censé leur enlever les cauchemars. Ensuite, il faut que l’enfant ramène une poule vivante à la São Bartolomeu. Je suis partie d’un rituel qui existe, que j’ai fait petite, et je l’ai un peu aménagé à ma sauce en faisant croire que la tête était crue. Effectivement elle paraît très réaliste, mais tout ça ce sont les effets du cinéma ! Il y a beaucoup de scènes comme celle-ci qui sont détournées. On trouve une façon de rendre les choses moins dramatiques. Par exemple, pour ma fille qui adore Harry Potter, les histoires de sorcières qu’elle lit dans des contes, c’est un monde merveilleux qui n’est pas chargé d’une force maléfique comme dans Alma Viva. Pour elle, c’est plutôt chargé de forces merveilleuses. Elle adorait les scènes où elle devait se confronter à la méchante sorcière, parce que, pour elle, c’était comme dans Harry Potter. Elle avait l’impression d’avoir des pouvoirs magiques ! C’était un tournage beaucoup plus ludique pour elle que ce que l’on peut croire.
Cap Magellan : Et tu penses qu’elle pourrait développer une carrière ?
Cristèle Alves Meira : Elle a à peine 10 ans, c’est une enfant, il faut qu’elle vive des choses de son âge. C’est sûr qu’elle a beaucoup aimé l’expérience de jouer et si des propositions venaient, elle essaierait sans doute. D’ailleurs, il y a une comédie française dans laquelle elle joue qui va sortir au mois de juin, film qui s’appelle Le processus de paix. Elle y joue la fille de Camille Chamoux et Damien Bonnard. Pour la suite, nous verrons, avec la sortie du film en France, il y aura sans doute des propositions. Mais ce n’est pas un objectif en soi. Le but n’est pas d’en faire une petite star, mais c’est très intéressant de savoir qu’elle a un talent, puisqu’effectivement, elle est incroyable, c’est une vraie petite actrice !
Cap Magellan : Au-delà de la famille, les thèmes qui sont très forts dans le film sont la mort et la sorcellerie. Pourquoi ce choix ?
Cristèle Alves Meira : Ce qui a déclenché l’idée de ce film, c’est le décès de ma grand-mère et ce sentiment d’injustice que j’ai ressenti en voyant ma famille se disputer au sujet de la pierre tombale. La partie la plus autobiographique de l’histoire est celle des disputes de famille. J’ai ressenti le besoin d’en faire un film, pour comprendre ce qui poussait ma famille à autant de violence. Mais c’est la fiction qui a pris le pas sur la réalité, j’ai imaginé des personnages qui n’ont rien à voir avec ma famille, j’ai juste tenté de comprendre d’où venait leur difficulté à communiquer, leur incompréhension. De nombreuses familles portugaises sont divisées, entre ceux qui sont partis et ceux qui sont restés, ceux qui ont un pouvoir économique plus fort parce qu’ils ont immigré, qui ont un meilleur salaire et qui reviennent au Portugal en ayant la possibilité de faire construire des grandes maisons, tandis que ceux qui sont restés vivent dans des conditions plus précaires. Cela crée des écarts dans les familles, des rancœurs et des difficultés que j’ai voulu raconter avec ce film, mais toujours avec humour. Les gens rient pendant les scènes de disputes ou de veillée funèbre. Lorsque l’on vit des moments de grandes émotions dans la vie, les sentiments qui nous traversent sont souvent contradictoires. On peut basculer du rire aux larmes quand on est pris dans des situations insupportables.
La question de la sorcellerie est venue du fait que j’ai grandi dans une famille très mystique, où j’ai côtoyé de près l’occulte, les esprits, les fantômes… Je me souviens que petite j’entendais plein d’histoires à la maison, de guerre de voisinage, des histoires très violentes, des voisines qui ne se parlent plus depuis des années, et ce, sur des générations parce qu’elles s’accusaient mutuellement de s’être jeté des sorts, d’être prises dans des malédictions. Mon but n’est pas de dire s’il faut y croire ou pas, ou de juger ceux qui ont ces pratiques ou qui en sont victimes. Je voulais juste témoigner de pratiques et de rituels qui existent et qui restent secrets ou cachés, pour les sortir de l’ombre et libérer les esprits. Pour autant, ça n’a pas été facile pour moi d’accepter mon sujet, de l’assumer. C’est un sujet tabou, comme la mort, alors il m’a fallu dépasser mes propres peurs, quand on s’attaque à la sorcellerie, on craint d’être pris dedans. Ce qui est curieux, c’est que les praticiens qui guérissent les ensorcelés sont assez visibles. En revanche, ceux qui jettent les sorts, on ne les voit jamais ! Dans Alma Viva, ce qui pousse la méchante à agir avec malveillance, c’est sa propre souffrance. J’ai fait ce film avec beaucoup de tendresse envers tous mes personnages même ceux qui agissent mal, ils ont une raison de se comporter comme ça. Derrière l’ombre, il y a la lumière, j’avais toujours cette image en tête.
Cap Magellan : Tu l’as merveilleusement fait dans ton film. On ne ressent pas du tout le tabou, au contraire ! Dans Alma Viva, ce sont principalement les femmes qui ont ce don de sorcellerie et elles sont très présentes tout au long du film. Est-ce que c’était voulu ?
Cristèle Alves Meira : Ce qui est sûr, c’est que je voulais rendre hommage aux femmes, à leur beauté, à leur puissance, à leur mystère aussi. C’est vraiment les femmes qui m’ont inspirée, celles de ma famille, de mon village, celles que j’ai croisé, quel que soit leur âge d’ailleurs. Les personnes plus âgées dans le film sont extrêmement puissantes. Ce qui m’inspirait chez elles, c’est leur côté haut en couleurs, excentrique, vulgaire, en marge. Elles ne rentrent pas dans les clous de ce que la société voudrait qu’elles soient, c’est-à-dire des femmes respectueuses, bien éduquées, etc. Elles sont décalées et je trouve que c’est ce qui fait leur beauté. Je pensais par exemple aux femmes dans les films de Pedro Almodovar, qui sont aussi très masculines. Ce sont des femmes qui ont la force des hommes, qui sont transgressives. Je voulais faire les portraits de femmes de toutes les générations, la petite fille, la grand-mère et les femmes entre 40 et 50 ans.
Par rapport à la thématique de la sorcellerie, il y a beaucoup d’hommes qui pratiquent aussi sur le terrain. Ce sont des médiums, des guérisseurs, des rebouteux… D’ailleurs il était question au scénario d’une scène où Salomé devait aller voir un jeune homme pour soigner ses terreurs nocturnes. Finalement, cette scène est sortie du film et ce n’est pas plus mal, comme ça la force mystique est restée du côté des femmes. Il y a tout de même ce personnage de l’oncle aveugle, qui lui aussi est un voyant et un devin, qui nous fait penser à Tirésias dans les tragédies grecques. Il a un savoir absolu, malgré son handicap. Quand je fais des films, les personnages qui m’inspirent le plus sont souvent ceux qu’on voit le moins ou ceux qu’on ne sait pas regarder parce qu’en marge de la société, parce que considérés comme des minorités. Ce sont eux qui me touchent le plus et que j’ai envie de filmer. Avec Alma Viva, j’avais envie de poser mon regard sur les femmes. Comme une façon de questionner l’histoire des sorcières, une Histoire bien chargée… pour mieux interroger notre présent.
Cap Magellan : Après tout ce que l’on vient de dire, comment pourrais-tu résumer en quelques phrases le message principal du film ?
Cristèle Alves Meira : Il y a une phrase que je tire du film qui est pour moi la phrase la plus importante et qui le résume bien. C’est d’ailleurs l’oncle aveugle qui l’a dit : « les vivants ferment les yeux des morts et les morts ouvrent les yeux des vivants ». Je crois que le film, Alma Viva, l’âme vivante, est avant tout un film qui rend hommage aux absents, aux ancêtres et qui rappelle ce lien qu’on a avec nos invisibles. C’est le message que je veux faire passer avant tout.
Cap Magellan : Pour finir, à quoi peut-on s’attendre pour la suite ? De nouveaux projets ?
Cristèle Alves Meira : Je suis en train d’écrire un nouveau long-métrage et je voudrais aussi écrire un court-métrage. Mais pour que ces projets existent, il me faut du temps, sûrement après la tournée !
Le long-métrage traitera toujours de la lusophonie, avec une partie du tournage au Portugal et une autre en France. Le personnage principal a encore un lien avec les deux pays. Le court-métrage devrait être tourné en Espagne ! Je n’en suis qu’au début, ce n’est jamais facile de faire un film, il faut convaincre beaucoup de gens, c’est une prise de risque. Mais quand le film existe enfin après plusieurs années de travail, et qu’on le voit être partagé avec le monde entier, on se dit que ça vaut la peine et qu’il ne faut jamais rien lâcher !
Rendez-vous donc le 12 avril dans toutes les salles françaises pour voir Alma Viva de Cristèle Alves Meira !
Interview réalisée par Julie Carvalho
Membre de l’équipe Tempestade 2,1
Étudiante en troisième année à l’ISMaPP