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4 juillet 2025Natalia Nunes est poète, formatrice en portugais, traductrice en français et portugais et accompagnante en développement personnel à Brest. Elle est à l’origine du recueil en français Essence et récemment de Clés, Cloches et Autres Symboles. Pour l’occasion, elle a offert à Cap Magellan une interview exclusive.
Cap Magellan : Bonjour Natalia Nunes, j’espère que vous allez bien. L’écriture a une place importante dans votre vie et aujourd’hui vous êtes venue nous parler de votre recueil de poèmes qui s’appelle Clés, Cloches et Autres Symboles. Pouvez-vous décrire l’essence de ce recueil ?
Natalia Nunes Bonnaud : Il s’agit de poésie libre. Il y a des passages qui ont un aspect plutôt lyrique et, d’autres, plutôt expérimental. Une partie de ces textes ont été écrits lors d’ateliers d’écriture que j’ai fréquentés quand j’étais à la fac de lettres à Coimbra au Portugal. Toutes les semaines, nous avions des cours avec une professeure de littérature qui avait été assistante aux Etats-Unis et qui est revenue avec plein de techniques d’écriture créative très intéressantes. Il y a donc plusieurs textes qui ont ce style, l’idée de jouer avec les mots, avec le sens. Cela sort un peu de la poésie classique que nous avons l’habitude de lire ou d’apprendre à l’école.
CM : Comment avez-vous eu envie d’écrire ?
Natalia Nunes Bonnaud : J’écris depuis l’adolescence. J’ai commencé, comme beaucoup, par tenir un journal intime. J’ai toujours aimé écrire mes émotions, mes états d’esprits et les lire à haute voix. J’appreciais aussi lire des poèmes ou des textes philosophiques à haute voix. J’aimais l’idée d’entendre à la fois le texte à travers la voix et de sentir les émotions dans le corps. C’est comme si la voix donnait un sens au texte et le rendait vivant. Plus tard, j’ai eu l’occasion de faire un peu de radio et j’ai toujours aimé ce côté « parlé », l’idée d’exprimer oralement des idées.
CM : Votre livre est divisé en deux. Nous avons d’un côté du portugais et de l’autre du français. Pourquoi avoir choisi de faire un ouvrage franco-portugais ?
Natalia Nunes Bonnaud : Je me sens franco-portugaise. C’est lié à mon identité, à mon cursus aussi, mon parcours de vie. Je suis née en France, de deux parents portugais. Quand j’avais huit ans, mes parents ont décidé de revenir dans leur pays, au Portugal. Nous sommes partis nous installer dans la région centre, à la campagne. Il y a eu une importante période de transition et d’adaptation pour moi. À la maison nous parlions portugais, mais à l’école français. Cela impliquait beaucoup de changements pour moi : changer de langue, de pays, de comportement aussi. Même si en tant qu’Européens, les Portugais et les Français ont beaucoup en commun, il y a quand même pas mal de choses à ajuster, à changer.
J’ai vécu au Portugal pendant vingt ans. À cause de la crise économique et de certaines circonstances de la vie, je suis revenue en France. À cette époque, je suis revenue avec un manuscrit en portugais. C’était mon deuxième projet de livre en portugais. Comme j’avais décidé de revenir m’installer en France, je devais me réapproprier non seulement la culture, mais aussi la langue française. Alors je me suis mise au défi de traduire mes propres textes en français. Cela a aussi été une recherche d’équilibre entre ces deux parties de moi, ces deux langues, ces deux cultures et une façon de pouvoir raconter mes propres textes en français à un autre public. Depuis que je me suis réinstallée en France, j’ai fait plusieurs petits boulots, mais j’étais enseignante principalement. Je donne des cours de portugais. J’ai aussi fait des traductions pendant plusieurs années. Il était important pour moi de passer par ce processus de réécriture, d’adaptation de mes propres textes.
CM : Avez-vous été confrontée à une situation de difficulté face à une traduction ? Certains mots n’ont pas d’équivalent
Natalia Nunes Bonnaud : Oui, bien sûr. Il y a des mots qui ont plusieurs sens. J’aime beaucoup jouer avec et laisser entendre plusieurs significations possibles et, en français, ça ne marchait pas toujours. Nous n’avons pas la même ouverture sur certains mots, mais plutôt sur d’autres. J’ai dû faire des compromis à certains moments, réécrire autrement, trouver une autre image. J’ai eu la chance d’échanger avec une amie qui est correctrice et relectrice de textes, avec qui nous avons eu quelques débats sur certains passages plus difficiles à traduire. J’ai essayé de lui expliquer par d’autres mots les ressentis, ce que je voulais dire. Nous avons collaboré ensemble pour essayer de trouver ensemble une autre image équivalente.
CM : Dans votre livre, vous abordez aussi le féminisme. Quelle place cela a pour vous ? Pourquoi en avez-vous parlé dans votre livre ?
Natalia Nunes Bonnaud : C’est quelque chose qui est venu me toucher vraiment en plein cœur depuis très jeune. J’ai un frère aîné et deux sœurs. Moi, je suis la petite dernière. Très vite, j’ai remarqué que mon frère avait eu une éducation complètement différente de celle de mes sœurs et de la mienne. Bien souvent, j’étais confrontée à des interdictions. Seulement, je voulais comprendre pourquoi mon frère avait le droit de faire certaines choses et pas moi. Par exemple, quand mes grands frères et sœurs sortaient et que je n’avais pas le droit, cela me révoltait.
Quand j’ai changé de pays, j’ai pris conscience que la parité entre hommes et femmes n’est pas du tout la même. Alors forcément, ces questions autour du féminisme, de l’égalité des sexes, des genres, a toujours été au cœur de plusieurs sujets, de plusieurs relations que j’ai vécues quand j’étais plus jeune. Quand je vivais au Portugal et que j’étais étudiante, j’ai eu besoin d’affirmer mes droits, d’affirmer que sous prétexte que je suis une femme je n’avais pas à faire certaines choses et ne pas pouvoir en faire d’autres. D’ailleurs, il y a des textes sur la condition de la femme que j’ai écrit lors d’un événement organisé par des jeunes féministes au sein de l’Académie de Coimbra, République des mariées et Mariées de l’horaire. Il s’agissait d’une résidence étudiante où il n’y avait que des femmes qui défendaient vraiment le féminisme au sein de la ville de Coimbra. Elles ont organisé un concours de poésie et j’ai écrit ce texte dans ce cadre-là, c’est d’ailleurs l’un des textes qui a gagné le concours. J’y aborde la condition de la femme, pas seulement à titre personnel, mais aussi au nom de tout le groupe « Femme ». Je sens que c’est comme s’il fallait être porte-parole d’un groupe plus grand que moi, plus vaste.
CM : Dans la préface de votre ouvrage, la docteure Graça Capinha de l’Université de Coimbra aborde la « déterritorialisation » et notamment « la déterritorialisation de soi ». Pouvez-vous expliquer ce que cela implique ?
Natalia Nunes Bonnaud : Finalement, c’est quelque chose que vivent beaucoup de peuples migrants : cette sensation d’avoir été comme déraciné, de sentir qu’on n’appartient pas à un lieu en particulier, ni à un lieu, ni à un autre, être citoyen du monde finalement. Cette sensation de sentir qu’on n’appartient pas réellement à un lieu physique peut faire qu’on se sente un peu perdu, qu’on a du mal à se retrouver, à savoir qui l’on est et pourquoi on fait ce que l’on fait aussi. On pourrait donc avoir du mal à se retrouver ou à se définir du fait de sortir de notre propre territoire ou d’exister en dehors d’un territoire. Finalement, avec tout le cheminement et la prise de distance au fil du chemin, j’ai compris qu’il s’agit surtout d’être soi-même où que l’on soit. Notre territoire peut être notre identité, notre corps, notre histoire, notre langue, indépendamment d’un lieu physique.
CM : Pour plusieurs de vos poèmes, vous vous êtes inspiré d’auteurs comme Thomas John Eliot, Luiza Neto Jorge ou encore Rûmî. Qu’est-ce qui vous a inspiré chez eux ?
Natalia Nunes Bonnaud : Certains de ces poètes m’ont été recommandés par mon ancienne professeure lors des ateliers d’écriture. Ce sont des références ou des personnes qui ont introduit un changement, qui sont entrées en rupture par rapport à des normes, des conventions. Nous avons donc travaillé sur certains styles. Nous avons écrit des textes à leur manière, comme pour honorer ces auteurs et pour pratiquer ces différents styles, cette façon d’être et d’écrire, de voir le monde.
Personnellement, j’ai toujours apprécié les poèmes de Rûmî. Je trouve que sa façon d’écrire est vraiment unique et il a tout un univers très particulier qui m’inspire. Il a aussi un côté surréaliste et intriguant. Je me demande souvent ce qu’il a voulu exprimer. C’est comme si j’aimais chercher le sens derrière toutes ces images et que j’aimais aussi me laisser transporter dans une sorte de tourbillon de mots, d’images, qui fait voyager, qui fait rêver.
CM : Quand j’ai lu votre livre, j’ai remarqué qu’au début, vos poèmes étaient assez froids. Il y a une certaine dureté dans les mots qui sont utilisés. J’ai le sentiment qu’au fil des pages le vocabulaire devient un peu plus lyrique, le champ lexical, beaucoup plus doux, presque nostalgique. Vous abordez aussi le thème de la mort. Qu’en pensez-vous ?
Natalia Nunes Bonnaud : Vous avez raison et c’est très juste et pertinent de le dire. Merci de l’avoir remarqué.
Au cours des ateliers d’écriture que j’ai fréquentés, nous avons travaillé sur un courant qui était très développé aux Etats-Unis qui s’appelle le language. Au travers de ce courant, le langage a une signification en lui-même : nous n’avons plus besoin d’un sujet poétique pour vouloir communiquer une émotion, un état d’esprit ou une intention au travers de ses écrits. Il suffit de laisser venir les mots, un peu comme si c’était quelque chose qui coulait, qui nous traversait ou qui était partout dans la réalité et qu’on pouvait simplement sélectionner un ensemble de mots, les placer sur une feuille et que chaque lecteur, à chaque fois, pouvait interpréter à sa façon avec ses propres filtres. Au travers de ce courant, il n’y a pas tellement d’émotion, d’intention ou de lyrisme.
Effectivement, il y a certains de mes textes, surtout les premiers au début du livre, qui ont un peu plus cette empreinte du courant language et qui sont un peu plus méta poétiques. Ce sont des poèmes qui réfléchissent ce processus d’écriture. Tandis qu’après, les textes me ressemblent plus, à moi, en tant que sujet poétique. J’y ai laissé transparaître un peu de lyrisme, de silence, de douceur, un peu de contemplation aussi par moment, quelques états d’esprit qui m’ont traversés. Il y a aussi des textes qui ont une prose presque poétique, qui s’inspirent d’images, de tableaux, de choses que j’ai vues dans la réalité au cours de mon chemin.
CM : Pour finir, avez-vous un message pour les lusodescendants ?
Natalia Nunes Bonnaud : De continuer à suivre leur chemin, le chemin qui les inspire. Il est important de savoir d’où l’on vient, quelles sont nos racines, qui ont été nos parents, nos grands-parents, comment ils ont vécu. C’est important de savoir d’où l’on vient, parce que cela fait partie de notre identité et aussi de notre corps, de nos cellules, de nos croyances, de tout ce qui fait partie de nous.
Pour autant, je pense de plus en plus que nous ne sommes pas obligés de reproduire les schémas de nos ancêtres. Nous pouvons aussi nous donner le droit et nous autoriser à vivre autrement, tout en accueillant qui ont été nos ancêtres. Finalement, cette histoire d’identité est plus quelque chose qui est importante pour soi-même et moins pour les autres finalement. Il est plus important d’être au clair avec soi-même sur qui l’on est et accepter aussi de ne pas savoir qui on est pendant quelque temps. L’important n’est pas forcément le drapeau ou la pièce d’identité, mais plutôt ce que l’on porte en nous comme intention, comme direction et élan de vie, élan du cœur.
CM : Merci beaucoup Natalia Nunes.
Nous invitons tout le monde à se procurer Clés, Cloches et autres symboles dans toutes les bonnes librairies.
Interview réalisée par Camille Vaz Folia,
retranscription par Julie Carvalho et Sophie Marques.
Publiée le 04/07/2025