
Entretien exclusif avec Natalia Nunes Bonnaud
4 juillet 2025
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4 juillet 2025Cap Magellan s’est entretenu avec José Rodrigues dos Santos pour une interview à l’occasion de la parution en France de son nouveau livre : Protocole CHAOS.
Cap Magellan : José Rodrigues dos Santos, tout d’abord, comment allez-vous ?
José Rodrigues dos Santos : Comment je vais ? (Rires) Très bien.
CM : Vous êtes enthousiaste à l’idée que ce livre soit présenté en France. Comment vous accueillez le fait d’être paru en France, d’être traduit ? C’est pour vous un succès, j’imagine, et c’est pour vous un attachement particulier entre la France et le Portugal ?
José Rodrigues dos Santos : Alors, je suis traduit dans une vingtaine de langues, notamment le français, et c’est très important pour un auteur de s’internationaliser, parce qu’après que l’on produit dans notre pays, c’est normal de désirer une certaine expansion de nos œuvres.
Le français fut la dernière grande langue européenne, mais vraiment la dernière. Et toutefois, les choses marchent très bien en France, la maison d’édition (Hervé Chopin) fait vraiment un bon travail, et je viens souvent en France pour la promotion des romans, aussi parce que je parle français, alors ça m’aide beaucoup dans la promotion.
CM : Avec toute l’actualité aujourd’hui, considérez-vous qu’il y a beaucoup de matière pour écrire, et par extension, pour dénoncer ?
José Rodrigues dos Santos : Oui, bien sûr, parce que les écrivains basent leur travail sur la réalité autour de nous. Et alors, le genre de roman que j’écris, ce sont des romans qui sont pleins de mystères réels, voire il y a toujours un rapport entre la fiction et la vérité, j’utilise la fiction pour dire de choses vraies, parce que je me pose la question pourquoi il faut inventer des mystères nouveaux, puisqu’autour de nous, il y a déjà un tas de mystères ? Et voilà pourquoi j’écris ces romans-ci.
CM : Quel a été le déclic, l’élément déclencheur pour écrire ce nouveau roman, Protocole CHAOS ?
José Rodrigues dos Santos : C’était au Canada, où j’ai compris le rôle des réseaux sociaux pour manipuler les gens politiquement. Les réseaux sociaux étaient déjà utilisés pour des raisons commerciales — pour convaincre les gens d’acheter des produits, tout ça — mais maintenant, on commence, surtout la Russie, à utiliser les réseaux sociaux pour manipuler les gens, et aussi les partis politiques en Occident.
Alors c’est pourquoi j’ai décidé d’écrire le roman. Ils veulent nous parler, surtout de la Russie, et de comment la Russie est en train de détruire l’Occident en utilisant les réseaux sociaux, et en utilisant des mouvements séparatistes, isolationnistes, aux États-Unis, en Europe — notamment Donald Trump, dont on croit qu’il est un agent russe. C’est la possibilité que le roman présente, et c’est basé sur un effet réel.
CM : Avec tout ce qui se passe, avec cette évolution, craignez-vous qu’à terme, il existe un protocole CHAOS II de la Russie, plutôt orienté vers la Chine, vu que l’on parle surtout aujourd’hui d’un protocole CHAOS orienté vers l’Occident ?
José Rodrigues dos Santos : Oui, il y a une alliance entre les dictatures : notamment la Chine, la Russie, la Corée du Nord et l’Iran. Ce sont des dictatures différentes. La Russie est une dictature nationaliste, l’Iran est théocratique, la Chine et la Corée du Nord sont des dictatures communistes. Ils veulent détruire l’Occident, car ils sont tous contre le monde libéral. Le monde libéral, où nous habitons, c’est la force du droit. Eux veulent imposer un monde où c’est le droit de la force. C’est pourquoi ils parlent d’un monde multipolaire — voire, que celui qui a la force peut l’imposer à n’importe qui.
C’est le grand défi que nous avons devant nous. Ils utilisent les réseaux sociaux, et certains politiciens en Occident pour arriver à ces projets. Le projet de la Russie est basé sur les idées d’un idéologue qui s’appelle Alexandre Douguine. Il a écrit des livres de lecture obligatoire à l’académie de l’état-major de l’armée russe, où il dit que la Russie est un empire qui doit élargir ses frontières. La Russie est Rome. C’est l’empire continental. Et l’Occident, c’est Carthage — un empire mercantile et atlantique. Et il dit que Rome doit détruire Carthage. La Russie doit détruire l’Occident.
CM : Comment le faire ?
José Rodrigues dos Santos : Premièrement, il faut encourager le nationalisme russe — ce qu’il fait. Deuxièmement, il faut travailler les esprits aux États-Unis, notamment dans les partis républicains, dans les mouvements isolationnistes. Il faut encourager la polarisation : la conflictualité ethnique, raciale, religieuse, sociale, économique… On a tous les domaines où l’on peut trouver des confrontations. Il faut encourager tout cela pour amener les États-Unis à arrêter leur soutien à l’Europe. Ce soutien s’appelle l’OTAN.
Dès que l’OTAN sera finie — soit formellement, ce qui ne sera pas possible, soit en pratique, ce qui est effectivement ce qui se passe aujourd’hui — l’Europe sera à la merci de la Russie. Il dit qu’on va dominer l’Europe. On va créer une Russie de Vladivostok à Dublin, ou de Vladivostok à Lisbonne, ou de Vladivostok à Brest. Ce sont les expressions qu’il a utilisées. C’est ça qu’il fait. Il met en pratique ce protocole.
Il utilise les réseaux sociaux pour parler directement aux gens. Par exemple, on reçoit des messages d’un Portugais qui habite à Bragança. Finalement, ce n’est pas un Portugais — c’est Boris, qui habite en Russie. Il va nous dire des choses vraies, des choses fausses, des choses semi-vraies, semi-fausses… pour nous faire détruire l’Occident, pour nous faire prendre des décisions qui sont contre nos propres intérêts. C’est ça, le protocole CHAOS qu’on est en train d’appliquer à cet instant.
CM : Avec l’appui des réseaux sociaux, courons-nous le risque d’avoir des dictatures de plus en plus stables, de plus en plus installées — aussi bien dans les mœurs que dans les mentalités — cette instrumentalisation à travers les réseaux sociaux, en comparaison à l’instrumentalisation par la propagande dans les années 1930 ?
José Rodrigues dos Santos : Politiquement, nous parlons toujours d’une confrontation droite-gauche. Cette façon de voir la politique est erronée, car le concept de droite-gauche vient du XVIIIe siècle en France — de la ruralité d’avant la Révolution française. Aujourd’hui, nous sommes dans un autre siècle.
Je dirais que, si on veut une dichotomie, ce n’est pas droite-gauche. Ça n’existe pas. C’est plutôt la dichotomie de Karl Popper. Karl Popper a écrit un livre qui s’intitule La société ouverte et ses ennemis. C’est-à-dire, le libéralisme contre les anti-libéraux. Le libéralisme, c’est la démocratie libérale. C’est un mot qui vient de liber. C’est du latin pour « libre ». Le libéralisme, c’est l’idéologie ou la philosophie de la liberté. Et c’est ça qui est à la base de l’Occident. On peut avoir des partis différents, mais ils acceptent la démocratie libérale, l’économie de marché, la liberté de commerce, la liberté d’enquêter la nature par la science… Tout cela : le concept de liberté.
Mais il y a des pays qui sont des dictatures — voire des dictatures nationalistes, théocratiques, socialistes — qui sont anti-libéraux, et qui veulent détruire ce monde-là. Et c’est ça, l’enjeu aujourd’hui. Et oui, il y a une menace. Et c’est une menace très similaire à celle des années 30 en Europe. Les historiens disent que l’histoire ne se répète jamais. Mais elle rime. Et c’est ce qui se passe.
Il faut se rappeler que, dans les années 30, l’Allemagne croyait que partout où on parlait allemand, c’était l’Allemagne. Aujourd’hui, la Russie croit que partout où l’on parle russe, c’est la Russie. Dans les années 30, l’Allemagne a annexé l’Autriche, puis les Sudètes, puis elle a envahi la Tchécoslovaquie, puis la Pologne.
Et ça a déclenché la guerre. Et la Russie, qu’est-ce qu’elle fait ? Elle a commencé par l’Ossétie du Nord, la Géorgie et l’Afghanistan. Puis elle a attaqué la Crimée, le Donbass, et comme en 1939 la Pologne, maintenant l’Ukraine. Et c’est vraiment une situation très similaire. En plus, on oublie souvent que dans les années 30, les dictatures étaient unies. La Russie était une alliée de l’Allemagne, de l’Italie et du Japon.
Et ça a seulement fini en 1941, quand les Allemands ont envahi l’Union Soviétique. Et aujourd’hui, c’est la même chose, nous avons la Russie, la Chine, la Corée du Nord, l’Iran, les dictatures sont ensemble, unies contre l’Occident, contre les sociétés ouvertes. Et c’est ça le vrai danger que nous avons à cet ensemble.
Alors est-il possible que nos démocraties que l’on a acquises soient proches de la France ? Elles étaient proches de la France dans les années 30. La France a été conquise. L’Angleterre était encerclée.
La Tchécoslovaquie, qui était une démocratie, est tombée. C’était seulement grâce aux États-Unis que les démocraties ont survécu, que le monde libéral a survécu. Mais où sont les États-Unis aujourd’hui ? Nous sommes désarmés en Occident. Nous avons fait confiance à la protection américaine. C’était une erreur, on le comprend bien. Et alors, nous n’avons pas beaucoup de gens pour nous réarmer, pour faire face à la menace qui vient de la Russie et des autres dictatures.
CM : Pensez-vous que les jeunes générations sont suffisamment armées aujourd’hui pour détecter la manipulation ou, au contraire, que les pièges se multiplient et qu’il est de plus en plus difficile de lutter contre cette désinformation, cette manipulation des cerveaux ?
José Rodrigues dos Santos : C’est très difficile. Les gens n’ont pas les outils de protection. On reçoit un message de François qui habite à Rennes et on croit que c’est François, on ne s’imagine pas que c’est un mouvement politique quelconque, ou que c’est la Russie, ou que c’est la Chine qui a envoyé ce message déguisé en François de Rennes. On ne sait pas. Ils utilisent beaucoup d’informations par ce qu’on appelle les bots, voire des algorithmes. Ils ont les trolls, qui sont des gens déguisés en autres, même un ordinateur pour envoyer des messages.
Et ces messages sont très bien conçus pour nous manipuler. Maintenant, nous arrivons à un point où ils développent les deepfakes, avec par exemple des vidéos où l’on voit le président de notre pays dire des choses qu’il n’a jamais dites, mais l’ordinateur les fait dire. Alors, à quoi faut-il croire ? C’est très difficile. Les gens sont vraiment à la merci de ces technologies. La seule façon, je trouve, d’arrêter ce procès, c’est de responsabiliser criminellement les plateformes des réseaux sociaux.
Si vous, dans le CapMag, vous donnez des informations fausses, on peut déclencher un procès judiciaire contre vous. Si vous faites des appels à la violence, on va déclencher un procès judiciaire contre vous. Alors, c’est pourquoi les médias traditionnels font attention. Mais sur les réseaux sociaux, on donne des informations fausses, on fait des appels à la violence, on fait des diffamations, ils ne sont pas responsables. Toutefois, ils prennent des décisions éditoriales grâce aux algorithmes qui font des sélections des infos. Alors, je ne comprends pas pourquoi ils ne sont pas responsabilisés comme les médias traditionnels. Et c’est là que je pense qu’il nous faut travailler, car le citoyen, il est vraiment à la merci de ces nouvelles technologies.
CM : L’écriture de ces romans, justement, qui dénoncent et qui s’intéressent aux faits d’actualité, c’est pour vous un prolongement de votre activité de journaliste ? Ou au contraire, vous considérez les deux, le José Rodrigues dos Santos, journaliste, et le José Rodrigues dos Santos, écrivain, deux personnages complètement différents ?
José Rodrigues dos Santos : Il y a une complémentarité, évidemment, mais je dis toujours que la vraie littérature, elle a toujours un rapport avec la vérité écrivaine. Il y a ceux qui croient que la littérature, ce sont les histoires qu’on raconte, ça c’est important, évidemment. Il y en a d’autres qui disent que c’est le style, c’est important, évidemment, mais pour moi, ce ne sont pas les histoires, même si elles sont importantes, ce n’est pas le style, même s’il est important, c’est les choses vraies qu’on exprime.
Quand on lit dans la littérature portugaise, par exemple, O crime do Padre Amaro d’Eça de Queirós, il nous parle du XIXe siècle, d’un sujet qui était tabou. Les prêtres qui avaient des filles dans les paroisses et tout ça, on le savait, dans les villages, mais on ne pouvait pas en parler. Et Eça de Queirós l’a dit, il parle bien de cette histoire. L’histoire est magnifique, c’est étonnant, toutefois, c’est la vérité qu’il a exprimée dans ce roman qui nous fait ne jamais oublier ce roman-là, O crime do Padre Amaro. Dans toute la littérature universelle, on trouve toujours qu’il y a un rapport avec la vérité.
Littérature française : Madame Bovary de Flaubert, comme Eça de Queirós, il a touché un sujet interdit. On croyait qu’à cette époque-là, les hommes pouvaient avoir des affaires hors mariage, mais pas les femmes, elles devaient être décentes. Et Flaubert a dit non, ça peut se passer. C’est une inégalité. Le sujet interdit, il a eu des problèmes. Bon, on a déclenché un procès judiciaire contre lui à cause de ce roman-là, parce que c’était un sujet interdit, mais il a dit des choses vraies.
Pour répondre à votre question, mon métier en tant que romancier, c’est aussi de dire des choses vraies, en utilisant la fiction. Et c’est pourquoi j’écris des romans. Dans ce sens, il y a une complémentarité entre mon travail de journaliste et mon travail d’écrivain.
CM : En parlant de sujet interdit, le livre aborde aussi le sujet des Rohingyas. Est-ce pour vous l’occasion de mettre en lumière une cause qui est justement peut-être un peu aujourd’hui cachée par d’autres causes qui intéressent plus l’activité médiatique, notamment le conflit au Moyen-Orient ?
José Rodrigues dos Santos : Ce que je voulais montrer, c’est que ce n’est pas un problème seulement de l’Occident. Ce n’est pas un problème seulement de l’Europe et des États-Unis. C’est un problème de tout le monde. Ces opérations de chaos déclenchées par la Russie et par la Chine, ces dictatures, elles manipulent les gens partout dans le monde : en Asie, en Afrique, en Amérique du Sud. Alors ce n’est pas seulement un problème de l’Occident, c’est un problème général de l’humanité.
CM : Dernière petite question sur laquelle je suis assez curieuse : quelle est la genèse pour faire toutes ces énigmes parce que Tomás Noronha, c’est aussi ça, c’est la cryptologie, c’est résoudre des énigmes. Comment vous créez ces énigmes ?
José Rodrigues dos Santos : Là, c’est le travail de l’écrivain. J’aime créer les énigmes parce qu’elles interpellent les lecteurs. Ils vont aussi, comme Tomás, ils sont dans la même position que lui, alors ils peuvent déchiffrer ces énigmes. C’est un défi pour les lecteurs. J’aime faire les romans avec Tomás comme ça. Et il y a vraiment un sacré travail de créer ces énigmes d’une façon que l’on peut les déchiffrer, mais ce n’est pas facile.
CM : Est-ce que, dans le fond, vous aimeriez être Tomás Noronha ?
José Rodrigues dos Santos : C’est possible, en effet. Les gens posent plutôt normalement la question : est-ce que je suis Tomás Noronha? Non, je ne le suis pas. Est-ce que j’aimerais l’être ? Oui, peut-être.
Merci beaucoup José Rodrigues dos Santos !
Interview réalisée par Jenny Carneiro,
administratrice de Cap Magellan.
Publiée le 04/07/2025